Cette semaine, on écoute le planant «Luca», d’Alex Maas.
On se souvient de sa pochette, rouge et bleue, qui joue avec la perception dans des effets cinétiques. On se rappelle des guitares «fuzz» bataillant avec des synthétiseurs «vintage», soulevant sur leur passage des tourbillons de poussière hallucinatoires. Remontons ainsi en 2017 et le dernier album en date des Black Angels (Death Song) pour confirmer une chose, qui tient lieu aujourd’hui d’évidence : oui, le groupe d’Austin, Texas, a joué un rôle majeur, pour ne pas dire fondamental, dans le renouveau psychédélique, tel qu’on le connait au XXIe siècle.
Six albums en témoignent, garnis de morceaux qui s’étirent jusqu’à la cassure, de voix résonnant en écho dans les gorges du Grand Canyon, d’évocations aussi, à peine cachées, à un modèle du genre, le 13th Floor Elevators de Roky Erickson, prestigieux aîné de la même ville qu’eux. Une filiation qui se retrouve même dans le nom du festival qu’ils ont contribué à créer (Levitation, également appelé Austin Psych Fest). Au milieu des hommages, on trouve un homme discret, tranquille, planqué derrière sa barbe et sous son béret, en équilibre sur un tapis volant comme pour échapper à l’attraction et au chaos terrestre.
Jusque-là fidèle à ses «Anges Noirs» (en dehors d’un disque signé avec le méconnu collectif MIEN en 2018), Alex Maas tente aujourd’hui l’échappée belle, quitte à s’exposer, à n’exister que par lui-même, à se montrer sous un jour qu’on ne lui connaît pas. Sûrement a-t-il mûri, comme semble le confirmer cet album titré sobrement Luca, du nom de son jeune fils, naissance amorçant une vie nouvelle et, qui sait, une prometteuse carrière solo. Oui, ses nouvelles préoccupations et responsabilités le ramènent au sol, le questionnent sur l’intime, l’héritage familial, et l’obligent aussi à se projeter dans un monde qui se disloque. Un regard en arrière, un autre droit devant, et entre les deux, un disque évidemment introspectif.
Il faut s’aventurer dans l’obscurité pour apprécier la lumière et vice-versa
Selon ses dires – car à l’oreille, ça ne s’entend pas –, cet album serait influencé par les forces de la nature et les échos de l’Amérique indigène précolombienne (musique que ses parents ont largement diffusée dans la pépinière qu’ils exploitaient dans le golfe du Mexique). Luca est donc rempli de souvenirs, faits de chants d’oiseaux et du bruit du vent dans les arbres. Mais sous la nostalgie rassurante gronde l’inquiétude. Celle de devoir accompagner un enfant sur une planète qui ne tourne plus rond.
Il écrit, en guise de présentation : «J’essaie de trouver un équilibre dans notre monde de cinglés. Est-ce que toute cette merde fout une trouille bleue ? Oui. Est-ce que la vie est belle, remplie d’espoir et d’inspiration ? Oui aussi. Il faut s’aventurer dans l’obscurité pour apprécier la lumière et vice-versa (…) C’est normal d’avoir peur, d’être triste et anxieux parce que tu en as besoin pour apprécier toute la beauté que le monde a à offrir.» Voici donc une production en clair-obscur qui alterne, dans les textes, les humeurs. Ici, l’amour répond à la violence, l’éducation à la haine.
Musicalement, Alex Maas cherche également l’entre-deux. On trouve toujours la réverbération caractéristique de sa voix hantée, et en guise d’accompagnement, des synthétiseurs tourbillonnants. Cependant, le tempo s’est calmé, et la dynamique s’est tempérée pour créer un son plus doux, plus brillant. Exit les grosses guitares, place à l’acoustique pour un folk légèrement perché, mais clairement charmeur. Bref, une musique à nu, qui cherche à ne pas en faire trop – même les quelques arrangements de cordes sont subtils. Si sa patine «sixties » ramène à Syd Barrett ou Leonard Cohen, d’autres références, plus modernes, s’imposent : Tim Presley, Amen Dunes, Dirty Beaches, voire Portishead. Disons plutôt que c’est beau comme du Alex Maas. À sa manière, il rend ce monde un peu plus vivable. C’est déjà ça de pris.
Grégory Cimatti