Retrouvez notre critique de 24 Hr Sports, le nouvel album d’El Michels Affair.
Leon Michels continue de creuser son sillon dans la «soul cinématographique», ce sous-genre de la soul, largement instrumental, qui a fait sa renommée. Un genre à la croisée des genres (auquel on peut ajouter Adrian Younge comme autre grand représentant), qui a solidifié la curiosité et le côté touche-à-tout du multi-instrumentiste depuis un quart de siècle.
S’il s’est imposé sur la scène musicale avec une réinterprétation des titres du Wu-Tang Clan (Enter the 37th Chamber, 2009) et que sa musique continue d’être une formidable passerelle entre soul, jazz et rap – pour preuve l’excellent Glorious Game (2023), album commun avec le rappeur Black Thought, de The Roots –, on l’a aussi vu récemment toucher, toujours sous la bannière de son groupe, El Michels Affair, à la pop psychédélique hindi-turque (Yeti Season, 2021), ou collaborer en solo avec The Black Keys, Lana Del Rey, Kali Uchis, Travis Scott, Derya Yildirim & Grup Simsek ou encore Molly Lewis. Ce qui en dit long, pas seulement sur le talent du bonhomme, mais aussi sur sa conception sans frontières de la musique.
Voilà justement qu’il s’embarque dans un projet qui, sur le papier, n’a pas grand-chose à voir avec son art, puisqu’il s’agit… de sport. Là encore, qu’on ne s’attende pas à entendre El Michels Affair canaliser l’énergie d’un «halftime show» du Superbowl ou s’amuser à singer les jingles d’émissions sportives – encore que 24 Hr Sports possède deux «thèmes» qui pourraient faire office de logos sonores. Le grand esthète des ambiances musicales qu’est Leon Michels infiltre sa trame sportive à la recherche d’un moyen de traduire avec des notes les sentiments que lui évoquent l’esthétique des magazines sportifs des années 1980 et 1990 – l’époque où, comme tout bon enfant américain, Leon Michels collectionnait les cartes de baseball et de basket.
Une évocation « à la cool » du jeu en équipe par un groupe qui n’a jamais été aussi bien entouré
El Michels Affair démarre ce nouveau voyage au son des fanfares qui d’ordinaire transmettent leur énergie aux fans assis dans les gradins des stades de baseball ou de football américain avant un match. Le décor est posé. Le groupe évoquera plus loin l’euphorie de la reprise des matches de baseball (le jazz-funk de Open Season) ou le soulagement des champions (la béatitude rêveuse de Victory Lap) et se fend d’un double hommage au Brésil et à sa principale religion, le football (la samba psychédélique Mágica, chantée par Rogê).
Mais la dimension sportive de l’album, pourtant mise en avant par son titre et son visuel, n’est pas son unique sujet, loin de là. Dans son ensemble, il faut voir 24 Hr Sports comme une course autour du monde, une évocation «à la cool» de l’effort physique (ou musical : dans les deux cas, cela demande beaucoup d’entraînement) et du jeu en équipe. Car El Michels Affair n’a jamais été autant (et aussi bien) entouré, à la manière d’un Damon Albarn qui invite des artistes de tous styles, tous continents et toutes langues pour intégrer Gorillaz le temps d’une chanson. Ce qui laisse penser que, pour une fois, ces obsédés de la cohérence sonore s’offrent une largesse qu’ils ne s’étaient jamais permise auparavant.
L’œuvre d’un véritable «MVP»
Le pari était risqué pour El Michels Affair, mais ça fonctionne à la perfection. On retrouve leur «cinematic soul» teintée de funk dans Eastside ou Cortex, une variation jazz-funk avec Oakley’s Car Wash ou encore blues avec Carry Me Away, portée par le timbre réconfortant de Norah Jones.
D’autres «featurings» finissent de couronner le tout : le groove rebondissant de Say Goodbye est sublimé par l’afrobeats de la chanteuse ghanéenne Florence Adooni, Indifference est un petit bijou de jazz vocal qui tend, grâce à Shintaro Sakamoto, vers le psychédélisme, tandis que Clairo brille sur Anticipate – peut-être le meilleur titre pop qu’on ait entendu cette année, qui convoque tout à la fois Stevie Wonder, John Lennon et Joni Mitchell. Appelez ça comme vous voulez : un home run, une pleine lucarne, un hole in one… En tout cas, 24 Hr Sports est l’œuvre d’un véritable «MVP» qui, comme tout champion qui se respecte, doit aussi sa réussite à ses coéquipiers.
El Michels Affair, 24 Hr Sports. Sorti le 5 septembre. Label Big Crown Records. Genre soul