Accueil | Culture | Adrien Vescovi drape le Casino

Adrien Vescovi drape le Casino


(photo Éric Chenal)

Artiste de l’accident sublime, Adrien Vescovi est mis à l’honneur au Casino Luxembourg avec «Jours de lenteur», une plongée dans son travail textile, tout en douceur…

On imagine difficilement un artiste étendre sa toile en plein air, l’offrant aux éléments naturels. Adrien Vescovi, qui «travaille le textile depuis dix ans», en a fait sa spécialité. Tout passant qui s’est aventuré, ces jours-ci, du côté de la rue Notre-Dame, et jusqu’au croisement de la rue Aldringen et de la Grand-Rue, n’aura d’ailleurs pas manqué de remarquer sa nouvelle œuvre, qui recouvre la façade du Casino Luxembourg et qui se présente, littéralement, comme une porte d’entrée à l’exposition monographique à lui consacrée, «Jours de lenteur».

Maintenus par d’épaisses cordes – instruments qui, dans un premier temps, n’étaient pas prévus, mais que l’artiste a «pensé à amener» pour contrer les effets de la capricieuse météo luxembourgeoise –, les assemblages de tissus, monumentaux, présentent une mosaïque de couleurs et de formes qui entrent en dialogue, tant avec les façades qui l’entourent qu’avec le bâtiment qu’ils recouvrent.

«C’est une autre pratique de la peinture»

«Les éléments naturels, on ne les maîtrise pas», commente Adrien Vescovi, installé depuis cinq ans à Marseille après avoir longtemps vécu et travaillé en Haute-Savoie. Le vent, la pluie ou la neige font pleinement partie du processus de travail de l’«artiste-artisan-alchimiste» : en «laiss(ant) vivre les toiles en extérieur pendant plusieurs mois, mon travail mute», raconte-t-il. Par la force des choses, ce qui a commencé comme un hasard forcé – au vu de l’immensité de ses pièces – s’est transformé en «outil, par la suite devenu vitrine». Car Adrien Vescovi souligne que l’une des composantes de son art est sa capacité à «sortir du musée». Presque un geste architectural, en somme.

Il faut dire que ce qui compose le travail d’Adrien Vescovi n’a pas forcément d’affinité avec les lieux d’exposition de l’art. S’il rapproche son travail de la peinture, ses toiles – en coton, en lin et en chanvre – ne sont pas un support au geste artistique : elles sont l’œuvre en soi. Puis il y a les couleurs, ocre, rouille ou vert-jaune délavé, des teintures naturelles concoctées par l’artiste lui-même à partir de «déchets végétaux» récupérés dans la nature qui entoure Marseille. «C’est une autre pratique de la peinture», commente Adrien Vescovi, avant d’énumérer quelques-uns de ses outils, loin du pinceau et de la palette : «des marmites, des réchauds, de grosses cuillères…». Le processus, comme l’œuvre, porte un discours écologique : au-delà de sa démarche artisanale, l’artiste n’utilise que des tissus de seconde main, une façon d’attirer l’attention, aussi, sur «l’industrie textile, la plus polluante au monde», précise-t-il.

«Le temps qui passe», «le temps qu’il fait»

Le titre de l’exposition, «Jours de lenteur», est à mettre en relation avec la démarche artistique. Les gestes répétitifs, de découpage, de couture et de pliage, comme celui de l’infusion du tissu dans ses «jus de paysage» – les teintures colorées –, pour lequel l’artiste n’intervient qu’une fois, sont une affaire de temps. La seconde vie qu’il donne à ses draps est d’ailleurs intimement liée au fait qu’ils «ont déjà eu une histoire, ils portent en eux une mémoire». Une fois le tableau fini et accroché, «le temps qui passe» avance main dans la main avec «le temps qu’il fait» pour rendre l’œuvre vivante.

Dans l’enceinte du Casino Luxembourg, l’artiste invite à la suite de son exposition en passant par un «espace de contemplation», autre idée de la lenteur, où l’on peut s’asseoir sur des bancs fabriqués et colorés par Adrien Vescovi, avec une vue détaillée sur les tissus accrochés à l’extérieur. «On est au revers du tableau», explique l’artiste, qui affirme que ses tissus ont bien «un recto et un verso», avant de nuancer ses propos : «Je me raconte des histoires, avec ces tableaux. Ces œuvres peuvent être aussi montrées en intérieur, elles peuvent être pliées…»

Recréer l’atelier au musée

L’œuvre sans titre, en trois dimensions, qu’Adrien Vescovi expose dans le Casino a quelque chose d’immense et de fragile à la fois. Au sol, la blancheur des draps, pas encore teints, donne à l’artiste le «souvenir de la réverbération du soleil sur la neige». Les pièces de tissu dont simplement déposées pour former le tableau, même si elles seront «sans doute assemblées à la fin de l’exposition». Cette «œuvre d’atelier déplacée au musée», entre l’exposition et le cours de réalisation, est d’ailleurs montrée aux côtés de ses «jus», soit 35 bocaux de couleurs différentes, que l’artiste utilise aussi comme «outils» pour garder les draps tendus, recréant ainsi dans l’espace muséal les gestes qui, d’ordinaire, sont à l’abri du regard des visiteurs, dans l’atelier de l’artiste. Depuis le plafond pendent dix «marque-pages» – dans l’idée d’une exposition conçue comme un livre, en référence aux cinq toiles en extérieur imaginées et numérotées comme des «pages» –, fabriqués à partir de «bords perdus», des chutes de tissus qu’Adrien Vescovi a assemblées. On traverse la pièce en prenant le temps, on tourne autour de l’œuvre en s’imprégnant de sa lenteur, de la plénitude qu’elle offre…

L’artiste explique avoir adopté, «depuis 2020», le demi-cercle comme motif caractéristique de son travail. Il revient dans les différentes œuvres montrées dans «Jours de lenteur» et «lie les tableaux entre eux». Pour autant, il se refuse à tout croquis préparatoire et à toute composition antérieure à la réalisation de ses œuvres. «Je ne fais pas de patron, comme on peut en faire en couture.» «Le textile n’est jamais le même, alors je préfère ne pas anticiper. La composition est un instantané» qui permet à Adrien Vescovi d’utiliser les éventuelles broderies de ses tissus «comme des repères» et d’«intégrer» à son travail les imprévus, tant dans les matériaux eux-mêmes – des draps vieillis ou tachés – que dans leur mise en dialogue avec l’espace. Dans la toile tendue sur laquelle s’achève l’exposition, mise en valeur comme une véritable peinture, les demi-cercles reflètent les arches par lesquelles on accède à la salle. Une dernière preuve qu’Adrien Vescovi se pose en grand artiste de l’accident.

«Jours de lenteur», jusqu’au 29 janvier 2023. Casino – Luxembourg.

Le Casino expose aussi le son

En parallèle de l’exposition «Jours de lenteur», le Casino Luxembourg inaugure également, ce samedi, le projet «Sound without Music. The Potential of Sound in Contemporary Art». La commissaire de l’exposition, Anastasia Chaguidouline, annonce «un projet collaboratif et hybride» partagé entre «une exposition physique» de quatre œuvres, au rez-de-chaussée du Casino, et «une série de collaborations», comprenant des performances et des projections de films, courant jusqu’à début décembre.

«Le titre du projet n’est pas une affirmation, mais un questionnement», selon la commissaire. «Qu’est-ce qui constitue le son? Quel est son rôle social et artistique? Comment exprimer le son sans le vivre par la musique ?». Ces questions sont autant de portes d’entrée dans ce projet qui se refuse à dresser l’historique de la relation entre le son et l’art contemporain, lui préférant une mise en situation dans des œuvres nouvelles. Ainsi, on découvre les instruments de percussion sculptés dans le bois par l’artiste allemand Lorenz Lindner, l’installation expérimentale et futuriste du Luxembourgeois Andrea Mancini (aussi connu en musique sous le pseudonyme Cleveland), les instruments de musique réalisés en textile et en céramique par le Passepartout Duo et l’«opéra à deux voix» écrit à partir d’extraits de la Bible et du Coran, au cœur de l’installation Derrière la mer, d’Anna Raimondo. Une série d’œuvres expérimentales, curieuses et uniques à ne pas louper.

«Sound without Music», jusqu’au 27 novembre.