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À Venise, Almodóvar se taille la part du lion


L'ancien enfant terrible de la «Movida» est récompensé pour ce film à la tonalité crépusculaire, qui «parle d'une femme qui agonise dans un monde qui agonise aussi». (Photo : afp)

La Mostra de Venise a offert à Pedro Almodóvar le Lion d’or pour son premier film américain, The Room Next Door, sur le suicide assisté. Le Luxembourg a, quant à lui, brillé dans la compétition d’œuvres immersives.

Pedro Almodóvar, maître du cinéma espagnol récompensé aux Oscars et auteur de chefs-d’œuvre comme Todo sobre mi madre (1999), La mala educación (2004) ou Dolor y gloria (2019), est habitué des plus grands festivals. Mais il n’avait jusqu’alors jamais été consacré d’une récompense suprême en compétition. C’est finalement le jury de la Mostra, présidé par Isabelle Huppert, qui offre cette récompense au cinéaste par excellence des femmes et des sentiments. The Room Next Door «est mon premier film en anglais, mais l’esprit est espagnol», a-t-il déclaré en recevant son prix.

Il en a profité pour livrer un plaidoyer pour l’euthanasie, clamant que «dire adieu à ce monde dignement est un droit fondamental de tout être humain». L’ancien enfant terrible de la «Movida» est récompensé pour ce film à la tonalité crépusculaire, qui «parle d’une femme qui agonise dans un monde qui agonise aussi». Personnage haut en couleur, apparaissant encore sur le tapis rouge dans un costume rose saumon, Almodóvar n’en recèle pas moins une certaine noirceur, plus marquée ces dernières années.

Ce nouveau film relate l’histoire d’Ingrid (Julianne Moore), autrice de romans angoissée par la fin de l’existence, et Martha (Tilda Swinton), son amie de jeunesse, ancienne reporter de guerre habituée à défier la mort. Atteinte d’un cancer, cette dernière décide de mettre fin à ses jours. Pour Isabelle Huppert, le film «aborde des sujets importants» avec «philosophie», «distance» et «sans mélodrame»; en conférence de presse, la présidente du jury a également salué le jeu des actrices.

The Room Next Door, qui avait reçu une ovation de 17 minutes à la fin de sa première vénitienne, est attendu pour la mi-octobre dans les salles espagnoles. Sa date de sortie au Luxembourg n’a pas encore été communiquée.

Nicole Kidman, «puissante et fragile»

La Mostra a récompensé une autre figure reconnue, Vincent Lindon, 65 ans, pour un rôle qui lui va comme un gant, mêlant intime, social et politique : celui d’un père confronté à la dérive de l’un de ses fils vers l’extrême droite violente, dans Jouer avec le feu, de Delphine et Muriel Coulin. «Il est très rare qu’un président (de jury) français soit aussi généreux avec quelqu’un de son pays. C’est très rare et très chic», a souri l’acteur, avant d’embrasser Isabelle Huppert qui lui offre «un prix dont (il a) rêvé longtemps et (qui) change le cours de l’existence».

Le prix d’interprétation féminine est allé à Nicole Kidman, qui se joue une nouvelle fois, à 57 ans, de son image glamour dans Babygirl, un thriller érotique nouvelle génération de la réalisatrice néerlandaise Halina Reijn. L’actrice s’expose comme rarement dans ce rôle d’une magnat new-yorkaise de la tech ayant une liaison avec un jeune stagiaire qui l’entraîne dans un jeu SM.

C’est mon premier film en anglais, mais l’esprit est espagnol

Un trophée qui est aussi un message : il récompense un film post-MeToo et salue une prise de risque rare dans la profession. Kidman est filmée à quatre pattes, en train de laper une tasse de lait dans un jeu de soumission, nue, de dos, ou faisant des injections de botox. Huppert a jugé sa performance «assez extraordinaire», louant la réalisatrice pour ce «portrait de femme très intéressant (…) à la fois puissante et fragile». «C’est un film sur le désir, le plaisir, les failles intérieures, le secret, le mariage, la vérité, la puissance et le consentement», avait résumé Nicole Kidman à Venise, absente de la remise de prix à cause du décès de sa mère, survenu durant le festival.

Stars et révélations

Pour sa 81e édition, le plus ancien festival de cinéma du monde avait fait le plein de stars hollywoodiennes, mais certains des films les plus attendus sont repartis bredouilles, dont Joker : Folie à deux, avec Lady Gaga et Joaquin Phoenix, ou Maria, le biopic sur la Callas avec Angelina Jolie.

Parmi les autres lauréats, The Brutalist, long métrage monumental de 3 h 30 sur le parcours d’un architecte survivant de la Shoah, interprété par Adrien Brody, vaut le prix de la meilleure réalisation à Brady Corbet. Très en vogue ces derniers mois en France, l’acteur Paul Kircher reçoit à 22 ans le prix de la révélation pour son rôle dans Leurs enfants après eux, inspiré du roman de Nicolas Mathieu.

La politique internationale s’est aussi invitée, à travers les propos d’une réalisatrice de la sélection parallèle Orizzonti, Sarah Friedland. «En tant qu’artiste juive américaine (…), je dois noter que j’accepte ce prix le 336e jour du génocide israélien à Gaza et la 76e année d’occupation», a-t-elle déclaré en recevant une distinction pour Familiar Touch, un autre film sur la fin de vie, entre fiction et documentaire.

Le palmarès

Lion d’or du meilleur film

The Room Next Door, de Pedro Almodóvar (Espagne)

Lion d’argent – Grand Prix du jury

Vermiglio, de Maura Delpero (Italie)

Lion d’argent de la meilleure réalisation

The Brutalist, de Brady Corbet (Royaume-Uni)

Coupe Volpi de la meilleure actrice

Nicole Kidman dans Babygirl, de Halina Reijn (États-Unis)

Coupe Volpi du meilleur acteur

Vincent Lindon dans Jouer avec le feu, de Delphine Coulin et Muriel Coulin (France)

Prix du meilleur scénario

Murilo Hauser et Heitor Lorega pour Ainda estou aqui, de Walter Salles (Brésil)

Prix spécial du jury

April, de Dea Kulumbegashvili (Géorgie)

Prix Marcello-Mastroianni du meilleur espoir

Paul Kircher dans Leurs enfants après eux, de Ludovic Boukherma et Zoran Boukherma (France)

À «Venice Immersive», le lion est rouge

«Venise, Vedi, Vici», a posté sur Instagram Gwenaël François, cofondateur de la société de production luxembourgeoise Skill Lab et réalisateur d’Oto’s Planet, lauréat du prix spécial du jury dans la compétition «Venice Immersive». Un slogan qui peut tout aussi bien coller au Français Boris Labbé, réalisateur du film Ito Meikyu, une expérience de réalité virtuelle coproduite au Luxembourg par Les Films Fauves. Ito Meikyu – «ito» pour «fil», «meikyu» pour «labyrinthe» – «se déploie comme une grande fresque sensorielle» autour de références de l’art et de la littérature du Japon. L’espace immersif devient ainsi un labyrinthe d’«architectures fractales» rempli de «plantes, d’objets, d’animaux, de gens, de motifs et de calligraphie». Une expérience qui a valu à l’œuvre le Grand Prix «Venice Immersive», plus haute récompense de cette section parallèle.

Moins expérimental, plus narratif et grand public, Oto’s Planet, court métrage animé et interactif, met en scène un personnage qui vit seul sous l’unique arbre de sa minuscule planète, jusqu’à ce qu’un vaisseau s’y écrase. Suit une «rencontre touchante et universelle» que Gwenaël François utilise comme porte d’entrée à des thèmes «tels que le partage, l’appropriation terrienne, l’émergence des frontières et le poids de l’appartenance à un écosystème global».

Parmi les 26 œuvres en compétition, dont cinq coproduites avec le Luxembourg, Ito Meikyu et Oto’s Planet (cette dernière majoritairement luxembourgeoise) ont ainsi remporté les deux plus hautes récompenses de la compétition immersive, sur les trois prix décernés. Pour le Premier ministre, Luc Frieden, ces prix «couronnent un travail acharné et visionnaire, et symbolisent l’engagement continu de notre pays envers l’excellence culturelle et technologique»; le ministre de la Culture, Éric Thill, a lui assuré que «ces succès renforcent notre position de leader en innovation culturelle».