Vestige d’un ancien complexe industriel de Rome, le site de Mira Lanza est devenu un projet artistique controversé qui témoigne des difficultés rencontrées par la Ville éternelle en matière de renouvellement urbain.
Depuis l’été dernier, une partie de ce qui fut autrefois la fabrique de savon Mira Lanza est devenue un musée à ciel ouvert accueillant les œuvres de l’artiste urbain français Seth, qui a vécu deux mois l’an passé au milieu des ordures et des poutrelles métalliques calcinées.
Mais le site, désormais occupé par des migrants Roms, est toujours à l’abandon et les peintures comme les installations de Seth commencent déjà à s’abimer. Un enfant peint sur un mur de briques semble désormais suspendu dans le vide, la pile de livres entassés devant le mur qui devait donner l’illusion d’être son siège s’étant écroulée dans la boue. Plus loin, une peinture reproduisant une piscine vide a été en grande partie lessivée par la pluie.
«Tel est le destin de ces œuvres», explique Stefano Antonelli, directeur de l’association culturelle 999Contemporary, à l’origine de ce projet qu’il qualifie de «post-musée». «L’endroit est abandonné depuis la fermeture de l’usine en 1957. Depuis que je suis petit garçon, il y a des projets pour le transformer en musée, en résidence universitaire… Mais rien n’a abouti», regrette-t-il. Situé à deux pas du Testaccio, un quartier populaire en pleine gentrification, et à quelques kilomètres à peine du Colisée, le site de Mira Lanza a été négligé pendant près de 60 ans. Cette incurie témoigne des faiblesses chroniques de Rome en matière de planification urbaine — à l’image de ses transports publics ou du ramassage des ordures — mais aussi d’une série de coups du sort.
Monceaux d’excréments
Les livres avaient été transportés à Mira Lanza au moment où il avait été envisagé que le site devienne l’antenne d’une prestigieuse école d’art dramatique. Mais ils sont partis en fumée, et le projet avec eux, dans un incendie survenu en 2014 après l’expulsion de plusieurs centaines de squatteurs. Dans un recoin que ces squatteurs avaient utilisé comme latrines, Seth a peint un enfant dont la tête émerge de la lumière, une œuvre intitulée «Lux in tenebris» (Lumière dans les ténèbres).
«Pour dégager l’espace, il nous a fallu nettoyer à la pelle des monceaux d’excréments, ce qui ne relève pas du travail habituel d’un commissaire d’exposition», ironise Stefano Antonelli. Sur un autre mur sont représentés des migrants entassés sur un bateau qui se dirige vers les côtes italiennes, des images dont les couleurs ne sont pas sans rappeler les vitraux d’une église. Dans un bâtiment voisin, sans toit, des piliers ont été peints aux couleurs de l’arc-en-ciel dans une installation faisant référence aux destructions du site antique de Palmyre, en Syrie, par l’organisation État Islamique.
A la suite de l’incendie de 2014, l’association 999Contemporary avait proposé de déblayer le site, de le sécuriser et d’organiser une exposition pilote destinée à démontrer son potentiel artistique. D’un budget de 50 000 euros, auquel il fallait ajouter l’embauche d’un architecte pendant 50 jours, le projet avait reçu l’appui de l’ancien maire de Rome, Ignazio Marino (centre-gauche). Mais ce dernier, empêtré dans une affaire de fausses notes de frais dont la justice l’a depuis blanchi, a été poussé à la démission le jour même où l’accord devait être signé à la mairie, renvoyant le projet à la case départ.
Et 15 mois plus tard, les difficultés rencontrées par la nouvelle maire, Virginia Raggi, élue du Mouvement 5 étoiles (M5S, populiste) de plus en plus contestée, risquent de laisser Mira Lanza encore longtemps dans les limbes.
Le Quotidien/AFP