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À l’opéra, Sequenda lutte pour l’excellence pédagogique


Créée en 2008, l’ASBL Sequenda a présenté hier sa première production en neuf ans, l’opéra bouffe Don Pasquale. Pour sa fondatrice, Luisa Mauro, l’ASBL doit continuer la lutte pour la formation des chanteurs lyriques au Luxembourg.

Luxembourg ne sera jamais une grande ville d’opéra comme Berlin ou Paris, mais elle peut être une grande ville pour la formation des chanteurs de demain» : tel est le plaidoyer de Luisa Mauro en faveur de l’apprentissage et de la professionnalisation du métier de chanteur d’opéra. La mezzo-soprano, revenue au Luxembourg après une carrière internationale, a fondé l’association Sequenda dans le but de promouvoir l’opéra à travers la formation de jeunes chanteurs au Grand-Duché. Hier soir, quatre d’entre eux ont joué sur les planches de la salle Robert-Krieps, à Neimënster, le Don Pasquale de Gaetano Donzietti, le dernier des opéras bouffe, entourés d’une «équipe de maestri internationale, et d’excellence».

Fondée il y a quinze ans avec un nom très à-propos, Nei Stëmmen, l’association est rebaptisée en 2017 Sequenda, du latin «que l’on doit suivre». Au-delà de la formation, Luisa Mauro revendique «un soutien pédagogique extraordinaire» dont les chanteuses et chanteurs peuvent bénéficier tout au long de leur carrière. Car si Sequenda a commencé petit, en 2008, en proposant principalement des stages en ateliers, elle a élargi son champ d’action et se décline aujourd’hui en trois volets : son académie d’été – l’édition 2023 s’est tenue le week-end dernier –, qui s’adresse aux «chanteurs de tous niveaux», même débutants; des séries de master class par certains des plus grands noms du chant lyrique (Teresa Breganza, Barbara Frittoli, Elsa Ferrari…); et l’opéra studio, une «plateforme artistique et pédagogique indépendante de toute maison d’opéra», précise Luisa Mauro.

Au-dessus de la scène de Don Pasquale flottent les tableaux de l’artiste Raffaela Zenoni. Une «marque de fabrique» des productions Sequenda. Photos : luisa mauro

L’indépendance, c’est à la fois la force et le fardeau de Sequenda. Sa directrice artistique et fondatrice porte un regard lucide sur son monde : «Le système actuel fonctionne à la surconsommation, c’est le cas aussi pour les chanteurs d’opéra. Un jeune chanteur talentueux, on l’utilise à fond, on l’use, et quand il n’a plus de voix, on le jette et on le remplace.» Mieux qu’une alternative, Sequenda lutte pour «renforcer leurs capacités et compétences afin que les jeunes puissent durer trente ans ou plus dans ce métier, comme c’était le cas chez nos aînés». Ainsi, l’ASBL «veut être pour ces jeunes une famille, qui les suivra tout au long de leur carrière et qui sera toujours là pour eux».

Première production en neuf ans

Luisa Mauro glisse que l’association «répond à un besoin non couvert», celui de la formation, non pas selon un programme d’éducation ou d’apprentissage, mais «dans la tradition du bel canto, quand les maîtres transmettaient le savoir à leurs disciples, sur la durée». Et remarque qu’il est «rare pour un jeune chanteur d’avoir accès à autant de maîtres qualifiés pour l’aider à se perfectionner et à penser sa carrière». Le dernier invité en date, Umberto Finazzi, qui enseigne à l’Académie du théâtre de la Scala de Milan, a assuré hier soir la direction musicale de Don Pasquale. Quelques heures plus tôt, Luisa Mauro confiait que le maestro allait être «très attentif au travail des chanteurs» – ses disciples, qui ont obtenu leurs rôles à la suite d’une série de trois ateliers.

Car la mise en scène de Don Pasquale a été un évènement en soi pour Sequenda, qui marque le retour de la troupe après neuf années «compliquées», résume la directrice. Les premières mises en scène ont donné un nouveau souffle à Sequenda, en participant à l’accélération des partenariats internationaux avec des institutions (dont la Scala et le Conservatoire de Paris) et des académies, si bien que Luisa Mauro parle de la période 2012-2014 comme de «l’âge d’or» de l’ASBL. C’est là que Sequenda a monté la trilogie de Mozart et Da Ponte – Le nozze di Figaro, Cosí fan tutte et Don Giovanni –, en s’établissant comme studio d’opéra, soit «une production finie avec des chanteurs qui débutent les rôles». Mais avec tout de même une envie d’amener ses pièces en tournée, comme ce sera le cas, annonce Luisa Mauro, avec Don Pasquale.

Nous, Sequenda, pouvons former les chanteurs!

La metteuse en scène de la pièce, Caterina Panti Liberovici, travaille, elle, à l’opéra de Francfort. L’association ne peut certes se permettre d’offrir à ses prestigieux invités et amis les grands moyens auxquels ils sont habitués, mais les productions Sequenda se distinguent par leur «marque de fabrique» : la mise en scène, ou «sur» scène, d’œuvres d’art, dans une vision transdisciplinaire et locale. Luisa Mauro : «Ayant peu de moyens, nous nous sommes liés, dès notre première production, à des artistes du Luxembourg. Avoir des œuvres d’art sur scène, ça donne de l’élégance, et c’est mieux que des décors mal faits !» Tandis que la sculptrice Marie-Josée Kerschen a eu, comme «galerie», les décors des Nozze di Figaro et de Cosí fan tutte, c’est la peintre Raffaela Zenoni qui s’est exposée pour Don Giovanni, et avec qui son amie Luisa Mauro a voulu «retenter l’aventure». Au-dessus de la scène de Don Pasquale, les portraits très expressifs, sources d’explosions de couleurs, contribuent à donner l’esthétique «légère et souple» inspirée du vaudeville, influence revendiquée de la mise en scène.

«Œuvres pédagogiques»

Pour la suite, Luisa Mauro ne tarit pas d’idées. Don Pasquale ne doit pas être un «one shot», ce qui reviendrait à qualifier la pièce de faux espoir. L’objectif affiché de Sequenda est de poursuivre la production à un rythme annuel, tout en maintenant le rythme de ses ateliers. Après tout, «ce que veulent ces jeunes chanteurs, c’est aller sur scène», n’est-ce pas ? Don Pasquale a bénéficié de l’aide «en pleine confiance» de la Fondation Loutsch-Weidert, qui a pratiquement «sauvé» la pièce d’une coupe de budget de 60 %, et Luisa Mauro use de tous ses contacts et liens tissés à l’international depuis la naissance de Sequenda afin de promouvoir sa troupe et la faire partir en tournée. La directrice écourte : «Le problème, c’est l’argent.» L’ASBL est encore sous le coup du «désastre» post-Covid, qui a freiné son activité, retardé la production et rétréci son champ d’action. Avant la pandémie, les ateliers de Sequenda attiraient en effet des chanteurs venus «du monde entier».

Avoir des œuvres d’art sur scène, ça donne de l’élégance

Ce qui fait réfléchir Luisa Mauro au manque de considération de la part des chanteurs d’opéra du Luxembourg envers les formations offertes par Sequenda. Elle martèle que l’absence de production nationale est une conséquence directe du manque de professionnalisation, et regrette en outre qu’aucun chanteur luxembourgeois ne se soit présenté pour participer à une production de l’opéra studio. Le Don Pasquale d’hier soir était pourtant une preuve vivante que «nous, Sequenda, pouvons former les chanteurs !». Et à un très haut niveau, en passant.

Celle qui «tien(t) la baraque» envers et contre tous ne baisse jamais la garde – comble de la détermination, Luisa Mauro avait refusé de déplacer sur Zoom la master class du ténor mexicain Ramon Vargas, à l’été 2020, et avait loué une arrière-salle des Pianos Kléber, à Luxembourg, où l’évènement s’est tenu en «présentiel». Aujourd’hui, elle glisse qu’elle «adorerai(t) faire Le Barbier de Séville» dès l’année prochaine. «Il est important que l’on reste sur des œuvres pédagogiques; quand on réfléchit à monter un opéra, on le fait en fonction des voix que nous avons. Et le bel canto, c’est ce qui fait du bien à la voix !»