Afin de briser le silence, questionner et se réapproprier l’espace public, LaDame Quicolle signe depuis 2021 une série de portraits de femmes marquées par la violence. Des «gardiennes de rue» auxquelles s’ajoute aujourd’hui Gisèle Pelicot.
Lunettes de soleil rondes, coupe au carré et tête haute : un portrait en pied de Gisèle Pelicot essaime dans les rues de Lille. Des collages signés de l’artiste LaDame Quicolle qui s’inscrivent dans une série de portraits de femmes victimes de violences. Gisèle Pelicot est le portrait numéro 22 de sa série «Les gardiennes de rue», démarrée en 2021, qui représente des femmes aux vies ordinaires, mais marquées par la violence (viol, prostitution infantile, violence conjugale…), explique l’artiste âgée de 38 ans.
Il ne lui faut d’ailleurs que quelques minutes pour coller dans la rue ces portraits grandeur quasi nature, au crayon et en couleur. Celui de la victime des viols de Mazan, cape bleue et pantalon vert, est collé dans plusieurs rues lilloises et parisiennes, accompagné d’un cartel : «Mme Gisèle P., gardienne de rue (…) comment renforcer la place des femmes». Dans son petit atelier lillois, un premier étage lumineux, l’artiste féministe, diplômée des Beaux-Arts de Bourges, photographie ses modèles, les dessine et les peint.
Des portraits qui gênent et interrogent
Imprimées et collées, ces femmes reconquièrent la ville, venant «briser le silence» et «meubler les « no girl’s land », ces endroits où il y a peu de femmes le soir». Son premier portrait est celui d’une jeune brune, veste à capuche, regard sur la défensive, collé à l’angle d’une rue, sur le mur d’un café d’un quartier populaire de Lille. «Elle est l’image d’une femme ordinaire qui a subi des violences», et devient «une gardienne de l’espace public», explique la trentenaire originaire de la banlieue parisienne, cheveux longs attachés et grands yeux bleus.
Ces femmes «surveillent, guettent, font peur», ajoute LaDame Quicolle, également art-thérapeute. L’objectif est également que ces portraits «gênent», que ces femmes «nous interrogent sur la raison pour laquelle elles sont là». L’un d’eux est un autoportrait de l’artiste, elle-même victime d’un viol à 19 ans, qu’elle a collé sur le lieu de son agression en banlieue parisienne. Toutes ses autres modèles lui ont confié leur histoire – sauf Gisèle Pelicot, seule femme de sa série que l’artiste n’a pas rencontrée.
La raison du plus fort n’est plus la meilleure
Droguée aux anxiolytiques par son mari, puis violée dans son sommeil durant dix ans par celui-ci et des dizaines d’hommes, la septuagénaire est la victime principale d’un procès hors norme ouvert le 2 septembre devant la cour criminelle du Vaucluse. Cette dernière, qui menait jusqu’à cette affaire une vie tranquille, «a décidé d’ouvrir son histoire au public, à travers ses interviews, ses déclarations» qui ont permis de «la comprendre, la connaître, m’imprégner de son sujet».
En résulte un portrait en mouvement, «comme une passante, une femme ordinaire qui habite nos villes et qui porte en elle ces violences». L’artiste veut «interpeller», mais aussi «fédérer» et montrer que ces personnes ayant vécu des violences «continuent à vivre». D’autres artistes se sont saisies de cette icône, devenue la figure de proue des victimes de viol et de soumission chimique en apparaissant à visage découvert et refusant le huis clos.
«Pour que la honte change de camp»
Des manifestations qui ont rassemblé quelque 10 000 personnes en soutien aux victimes de viol mi-septembre, en écho au procès, ont ainsi été lancées par une affiche dessinée par la graphiste belge Aline Dessine aux 2,5 millions d’abonnés sur TikTok. Elle montre une esquisse du visage de Gisèle Pelicot, coupe au carré et lunettes rondes. L’artiste Maca a également réalisé un portrait en fresque avec le message «Pour que la honte change de camp», à Gentilly, dans la banlieue parisienne.
De son côté, le collectif Les Amazones d’Avignon a effectué un collage reprenant en majuscules noires une phrase de Gisèle Pelicot : «Depuis que je suis arrivée dans cette salle d’audience, je me sens humiliée». Avec sa série de portraits «authentiques» et ces «gardiennes de rue» ordinaires (cheffe de chœur, étudiante, graphiste, écrivaine…), LaDame Quicolle veut montrer que «la raison du plus fort n’est plus la meilleure».