Confrontée à un tourisme de masse, la capitale toscane n’arrive pas à juguler l’inflation des loyers qui met ses artisans à la rue au profit des Airbnb et autres fast-foods. Une hérésie pour ce joyau d’art et d’architecture.
Orfèvre à Florence, Tommaso Pestelli a été évincé de son atelier pour faire place à un hôtel de luxe, énième victime d’un tourisme de masse dans la ville toscane qui, selon ses défenseurs, risque d’y perdre son âme. Les appels à une action urgente pour protéger le centre-ville, site classé de l’UNESCO, se sont intensifiés le mois dernier après les déclarations choc de la directrice allemande de la prestigieuse Galleria dell’Accademia selon qui Florence est devenue «une prostituée».
Quelque 1,5 million de touristes ont visité ce joyau d’art et d’architecture pendant les seuls mois de l’été l’an dernier, en hausse de 6,6 % par rapport à l’année précédente, tandis qu’un nombre croissant d’échoppes et d’appartements résidentiels sont convertis en fast-food et Airbnb. «Nous sommes ouverts depuis 1908. Si vous vous débarrassez de nous, et de beaucoup d’autres, vous enlevez une partie de l’âme de la ville», tempête Tommaso Pestelli, dont le père, le grand-père et l’arrière-grand-père étaient orfèvres avant lui.
Ce dernier, 55 ans, est parvenu à dénicher un autre petit atelier à proximité, mais de nombreux autres artisans n’ont pas eu cette chance. Le coût moyen des loyers résidentiels a en effet bondi de 42 % entre 2016 et 2023, tandis que le nombre d’appartements répertoriés sur Airbnb est passé de quelque 6 000 à près de 15 000, selon les chiffres officiels. Même en février, les touristes font la queue devant la cathédrale et se pressent autour du David de Michel-Ange.
Avec l’expulsion des habitants et la disparition des magasins traditionnels, «Florence est en train de devenir une boîte vide», prévient Tommaso Pestelli. Pour Elena Bellini, 47 ans, qui vend des œuvres d’artistes locaux, la raréfaction des résidents ne tue pas seulement à petit feu la vie de quartier. Elle entraîne une augmentation de la délinquance, notamment les cambriolages. Sur la vitrine d’une bijouterie, on peut ainsi lire : «Florence se meurt!»
Florence est en train de devenir une boîte vide
Mais la capitale toscane n’est pas la seule dans ce cas. Venise et d’autres destinations prisées, comme les Cinque Terre dans le nord-ouest du pays, ont également vu leurs habitants chassés par les loyers astronomiques, l’invasion des sites touristiques et les boutiques de souvenirs. Tandis que Venise expérimente de son côté un système de billetterie, où les visiteurs d’un jour devront payer un droit d’entrée en haute saison, le conseil municipal de Florence, de centre-gauche, a lancé une campagne pour attirer les touristes hors du centre.
Les gens recherchent de plus en plus des «itinéraires basés sur l’expérience», et la municipalité cherche à promouvoir d’autres points d’intérêt historique et artistique, liés à l’exploration de la nature et de la gastronomie, explique Alessia Bettini, adjointe au maire. Le nombre de visiteurs des villages, châteaux et autres abbayes des environs a ainsi progressé de 4,5 % en janvier, tandis que le nombre de randonneurs s’aventurant sur le Chemin des Dieux, qui traverse les Apennins jusqu’à Bologne, a augmenté de 22 % l’an dernier.
Le conseil municipal a aussi tenté de libérer des logements pour la population locale et d’empêcher une nouvelle flambée des loyers en interdisant les nouvelles locations de vacances privées à court terme dans le centre historique. La mesure, adoptée en octobre, prévoit également des allègements fiscaux pour les propriétaires qui reviennent à des baux ordinaires.
Toutefois, malgré l’interdiction, une dizaine d’artisans sont en voie d’expulsion de leurs ateliers situés dans un immeuble proche du Ponte Vecchio, dans le cadre d’un projet d’aménagement touristique. «La tradition florentine de l’orfèvrerie est en train de s’effondrer assez rapidement», déplore encore Tommaso Pestelli. À quelques rues de là, Gabriele Maselli, président de l’Association des entreprises historiques de Florence, peint à la main un cadre doré, des rangées de pots et de poudres aux couleurs vives s’alignant sur les étagères derrière lui.
Un grand crucifix est accroché à un mur, tandis qu’à proximité, un restaurateur s’efforce de redonner son lustre à un tableau endommagé. «Les gens viennent à Florence pour des produits de qualité, fabriqués à la main avec beaucoup de soin», explique Gabriele Maselli, 58 ans. «Si une entreprise est obligée de fermer, c’est toute la chaîne de production qui est touchée. C’est tout un monde qui ferme, qui disparaît à jamais…».
Il faut décider un numerus clausus qui limiterait le nombre de touristes par an à un tiers du nombre actuel.