Adama Camara, qui a passé plus de cinq ans derrière les barreaux, était affligé par les idées fausses sur la vie carcérale véhiculées par les réseaux sociaux. Il a alors créé la «grotte mobile», réplique de son ancienne cellule, pour mieux en parler aux plus jeunes.
Adama Camara s’en amuse : «Il y en a qui sont superstitieux, ils n’entrent pas», dit-il en ouvrant la porte de sa «grotte mobile» sur laquelle est inscrit «55 852», numéro d’écrou de cet ex-détenu qui a reconstitué, dans un camion, son ancienne cellule pour «sensibiliser» les jeunes à la vie en prison. «Qui a déjà vu une vidéo d’une personne en détention?», s’enquiert ainsi l’ancien chauffeur-livreur originaire de Garges-lès-Gonesse (dans le Val-d’Oise) auprès d’une trentaine de jeunes réunis dans la salle du club ados de Drancy (Seine-Saint-Denis).
Dans le brouhaha persistant, les réactions fusent chez les participants : selon eux, les détenus «cuisinent», «jouent à la PlayStation», «fument», «font des bagarres» et ont même «des piscines gonflables». «La prison, c’est facile!», soutient Momar, 16 ans. Naël, 15 ans, acquiesce. Les «influenceurs», surnom qu’il donne aux détenus qui filment leur quotidien en détention, «ont le frigo plein et plein d’habits», assure-t-il, presque envieux. C’est pour lutter contre cette vision fantasmée du milieu carcéral qu’Adama Camara, âgé de 36 ans, a lancé le 13 avril sa «grotte mobile», reconstitution de la cellule dans laquelle il a vécu cinq ans et demi.
Avec elle, il va à la rencontre des jeunes. «L’image de la prison a beaucoup changé à cause des réseaux sociaux» qui donnent «l’impression que la prison, c’est tranquille.» «Mais lorsque les jeunes visitent la grotte mobile, ils se rendent compte que la prison, c’est dur», assure-t-il. En 2011, lors d’une rixe, le frère cadet d’Adama est tué de plusieurs coups de couteau. En août 2014, par vengeance, ce dernier blesse par balles le grand frère du meurtrier et deux autres personnes. Il est alors condamné à huit ans de prison.
Il y en a qui sont superstitieux, ils n’entrent pas
Depuis sa sortie, il a fait de la lutte contre les rivalités meurtrières entre quartiers des cités populaires, et la prévention auprès des jeunes, son cheval de bataille. Le phénomène des rixes est particulièrement présent en Île-de-France. En Seine-Saint-Denis, un garçon de 16 ans a été tué d’un coup de couteau dans la jambe, en octobre, devant un fast-food d’Aulnay-sous-Bois, par un autre adolescent, âgé lui de 17 ans. Dans le même département, au printemps, plusieurs rixes armées ont opposé des bandes de La Courneuve et de Saint-Denis, faisant des blessés graves.
Après un temps d’échange, les adolescents patientent en petits groupes dans la cour. Le mercure avoisine les 30 °C. Puis, cinq par cinq, ils pénètrent dans l’exigu abri de tôle de 9 m2. Toilettes dissimulées derrière un rideau de fortune, lits superposés bringuebalants, fenêtre factice occultée par une taie d’oreiller… Et la chaleur, presque insoutenable. Là, Adama explique avoir passé «22 h/24», des années durant. «On est combien à vivre ici?», s’interroge un des jeunes, saisi par la touffeur du lieu. «Jusqu’à trois, avec un matelas au sol. C’est vraiment pas le Club Med!», insiste Adama.
«On est dans un four quand on est en cellule», abonde-t-il. Avec 83 681 personnes incarcérées au 1er mai, jamais les prisons françaises n’ont compté autant de détenus. Parmi eux, 5 234 détenus sont contraints de dormir sur des matelas posés à même le sol. «Dans les vidéos TikTok, les détenus montrent qu’ils sont bien en prison, bien logés, bien nourris… Mais en vrai, ce n’est pas le cas», concède Ousmane, 15 ans. «Avant cette cellule, je pensais que la prison, c’était un bon truc à vivre», reconnaît-il.
Accoudé au lit, Bassin, qui dit avoir «des amis à Villepinte», à la maison d’arrêt, n’est pas «choqué» par la grotte mobile, mais assure ne jamais vouloir vivre cette «épreuve». «J’ai connu la garde à vue. Ça m’a remis les idées en place. Je ne pourrai pas vivre comme ça des mois, des années. Plutôt mourir», insiste l’adolescent de 15 ans. Louis, même âge, reste silencieux le temps de la visite. De retour dehors, il souhaite «grosse force à tous les détenus», marqué par «la chaleur et les toilettes». «Quand un détenu va faire ses besoins, l’autre va sentir les odeurs…»
Une fois ressorti à l’air libre, même constat pour Naël. «Vivre à deux ou trois à l’intérieur, c’est horrible, on ne peut même pas faire ça», dit-il en écartant les bras. Des réactions qui satisfont Farid Kebli, directeur adjoint du service jeunesse de la ville de Drancy. «On a trouvé ça très important de faire découvrir ça aux jeunes, de leur ouvrir les yeux», estime-t-il, espérant que ce type d’initiative permettra «d’en sauver quelques-uns».