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À Berlin, la traque créative aux tags néonazis


L'artiste de rue Ibo Omari recouvre une croix gammée qu'il vient de découvrir sur une aire de jeux à Berlin, le 11 mai 2017. (Photo : AFP)

Un habitant du quartier pousse la porte d’une boutique de street-art berlinoise. Il a besoin d’une bombe de peinture. C’est pour une urgence.

«Le type n’avait pas le look d’un street-artiste, donc je lui ai demandé ce qu’il voulait en faire, et il m’a répondu que c’était pour recouvrir une croix gammée qu’il venait de découvrir peinte sur une aire de jeux», explique Ibo Omari, le propriétaire de la boutique.

Cela a été un déclic pour ce Berlinois d’origine libanaise. Il convoque alors quelques amis et des jeunes du quartier pour lancer la contre-offensive et devient animateur du mouvement #Paintback. «On était vraiment choqués que quelqu’un ait pu faire ça (peindre une croix gammée, ndlr), surtout ici à Schöneberg», quartier bourgeois, familial et mixte de l’ouest de Berlin, se souvient-il. «On a pas mal réfléchi à ce qu’on pouvait faire face à ce genre d’acte haineux et puis on s’est dit : on va répondre avec humour et amour».

La campagne pour détourner avec malice ces graffitis néo-nazis, dont la présence est d’autant plus choquante dans l’ancien centre du pouvoir hitlérien, était née. C’était en 2016. «On a choisi des dessins mignons et un peu provoc’, la plupart réalisés par des ados, comme ça n’importe qui, même s’il n’est pas un professionnel, peut le reproduire», raconte Ibo Omari, 37 ans.

Lapin ou Rubik’s cube

Et il y a de quoi faire. Les tags de croix-gammées, pourtant interdits, sont en recrudescence sur les façades des immeubles berlinois. La haine envers les migrants monte dans la ville et dans tout le pays depuis 2015, après l’arrivée en Allemagne de plus d’un million de demandeurs d’asile. Selon les services de renseignement allemands, les agressions répondant à des motivations politiques –dont un tiers relevant de la «haine raciale»– ont augmenté de 7% l’an dernier. «En tant que street-artistes nous voulions envoyer un message : vous usurpez le tag». «Le graffiti n’a rien à voir avec le racisme, c’est une histoire de diversité, multicolore, c’est une formation morale qui permet aux jeunes de s’exprimer, d’être créatifs et de sortir de la rue».

Dans le QG de #Paintback, une pièce tapissée de couvertures d’albums de rap, les adolescents peaufinent leurs dessins, cherchent quels détournements ils vont bien pouvoir utiliser, ce servant de la croix gammée comme trame de départ. Une chouette, un moustique, un lapin qui tire la langue, un Rubik’s cube, un chat au bord d’une fenêtre… leur inspiration est sans limite. «C’est pas dur de trouver des idées», confirme Klemens Reichelt, 17 ans, qui participe à l’atelier.

«Ca me plait bien car je pense que ces swastikas n’ont rien à faire à Berlin, c’est une ville ouverte sur le monde et c’est ça que je veux défendre» ajoute l’adolescent. Ibo Omari et une demi-douzaine d’amis encadrent le projet, utilisant les dessins des enfants pour «sublimer» les symboles de haine repérés dans le quartier. Les habitants ont pris l’habitude d’aller trouver Ibo Omari pour lui signaler l’apparition des tags les plus douteux. Il estime que depuis 2016, une vingtaine de croix-gammées ont pu être détournées.

Vague de haine

Ibo Omari, lui-même fils de réfugiés, est heureux d’avoir pu transformer ces irruptions de haine en opportunité pour les jeunes du quartier. Selon lui, ces derniers ne demandent qu’à trouver leur place dans la ville, à y laisser la trace de leur convictions. La pionnière du genre, Irmela Mensah-Schramm, est une militante de 71 ans qui déambule, bombe de peinture à la main dans la capitale allemande pour recouvrir les tags. Elle a été condamnée l’année dernière par un tribunal berlinois pour vandalisme, mais en juillet, la justice a finalement renoncé à poursuivre cette passionaria de la lutte anti-racisme.

Ibo Omari, lui, ne veut pas prendre le risque de l’illégalité. Car en Allemagne, la loi interdit l’affichage de symboles nazis, comme la croix gammée, mais ceux qui s’en mêlent, même pour un détournement, sont aussi passibles de poursuites. «C’est important d’avoir l’autorisation des propriétaires des murs», explique donc Ibo Omari. Son initiative a commencé à faire des émules dans d’autres villes dans le monde, grâce à l’internet. Avec le hashtag #Paintback, une belle collection d’oeuvres a ainsi fait son apparition sur Instagram, Twitter et Facebook, et le clip du collectif d’Omari posté sur Youtube a déjà été vu plus de 100 000 fois.

Le Quotidien/AFP