Ce week-end était celui du cinéma français, d’abord avec les César, qui ont vu le sacre de La Nuit du 12, puis à la Berlinale, d’où le documentariste Nicolas Philibert est reparti avec l’Ours d’or.
Le film La Nuit du 12, qui raconte l’enquête impossible sur un féminicide, a triomphé vendredi soir à la 48e cérémonie des César, envoyant un message féministe dans une soirée où les réalisatrices n’étaient présentes que dans les discours. Le long métrage a remporté six prix, dont un rare doublé avec les statuettes du meilleur film et du meilleur réalisateur pour Dominik Moll. Les acteurs Bastien Bouillon et Bouli Lanners ont reçu le prix du meilleur espoir masculin et du meilleur acteur dans un second rôle pour leur interprétation d’un duo d’enquêteurs de la police judiciaire qui tente d’élucider l’assassinat d’une jeune fille, sans témoins.
Inspiré d’un fait divers, La Nuit du 12 livre une galerie de suspects qui ne se rendent même pas compte de la misogynie de leurs propos et s’attaque aussi au machisme dans la police. Dominik Moll, en remportant sa deuxième statuette de réalisateur, 22 ans après Harry, un ami qui vous veut du bien, a eu «une pensée pour la vraie Clara, la vraie victime de l’affaire qui a donné lieu au film. Elle s’appelait Maud.»
Un message bienvenu
Le couronnement de La Nuit du 12 envoie un message bienvenu : «Les cinéastes devaient s’emparer du récit» sur les violences faites aux femmes, a lancé l’une des productrices du film, Caroline Benjo. «Vive les femmes et vive les hommes qui rejoignent leur combat», a-t-elle ajouté dans un discours fort, écouté larmes aux yeux par l’actrice Judith Chemla, qui a dénoncé publiquement les violences domestiques qu’elle a subies.
Le lendemain de la cérémonie des César, c’est chez ses voisins allemands que le cinéma français continue de montrer son excellence : l’Ours d’or, récompense suprême de la Berlinale, a été décroché par le documentaire Sur l’Adamant, de Nicolas Philibert. Deux décennies après l’immense succès de Être et avoir, le documentariste de 72 ans quitte les bancs de l’école pour une plongée dans l’univers psychiatrique, premier film d’une trilogie à ce sujet. Sans voix-off, scrutant les visages des patients accueillis chaque jour sur une péniche amarrée sur la Seine à Paris, baptisée L’Adamant, le film est «une tentative de renverser l’image que nous avons des personnes atteintes de folie», a expliqué Nicolas Philibert en recevant son prix. «Les clichés sont tenaces, le film essaie de les détricoter, (mais) il y a beaucoup de chemin à faire», a-t-il dit.
«Repousser les limites»
Sur l’Adamant montre la frontière qui finit par se brouiller entre soignants et malades. On peut y voir des patients participant à des ateliers thérapeutiques ou artistiques, mais aussi oublier leur statut de malades pour construire une vie commune, aidant par exemple au contrôle du budget. «Les personnes les plus folles ne sont pas celles que l’on croit», a ajouté le réalisateur de ce documentaire au long cours. Cet Ours d’or «est une reconnaissance des films documentaires, mon type d’art», a déclaré Nicolas Philibert, espérant que cela pourra aider d’autres documentaristes à développer leurs projets.
L’an dernier, la Mostra de Venise avait décerné son Lion d’or au documentaire All the Beauty and the Bloodshed, de Laura Poitras, qui mêle la vie et l’art de la photographe Nan Goldin et son combat contre la famille Sackler, géants de l’industrie pharmaceutique impliqués dans la crise des opiacés aux États-Unis. Malgré tout, des documentaires sont régulièrement sélectionnés dans les grandes compétitions internationales de cinéma, mais assez rarement primés. «Ce festival est là pour repousser les limites», a justifié l’actrice américaine Kristen Stewart, qui, à 32 ans, a été la plus jeune présidente du jury de l’histoire de la Berlinale. «Les paramètres invisibles forgés par l’industrie et l’académisme sur ce qu’est un film n’ont aucune chance avec celui-ci», a-t-elle ajouté.
Un autre Français a reçu à Berlin l’Ours d’argent du meilleur réalisateur : Philippe Garrel avait présenté Le Grand Chariot, un film aux airs de testament artistique. Bien que le réalisateur jure ne pas avoir voulu faire une «autofiction», le film met en scène de façon quasi transparente sa propre famille et questionne l’idée de l’héritage artistique et du succès. Ce sont trois de ses enfants qui occupent les rôles principaux comme enfants d’un marionnettiste, métier qu’exerçait le père de Philippe Garrel avant de devenir comédien. En recevant son prix du meilleur réalisateur, Philippe Garrel l’a dédié à Jean-Luc Godard, «un très grand maître», décédé en septembre dernier, et s’est exclamé : «Vive la révolution iranienne!».
César : les principaux lauréats
Meilleur film La Nuit du 12, de Dominik Moll
Meilleure réalisation Dominik Moll pour La Nuit du 12
Meilleure actrice Virginie Efira dans Revoir Paris
Meilleur acteur Benoît Magimel dans Pacifiction
Meilleure actrice dans un second rôle Noémie Merlant dans L’Innocent
Meilleur acteur dans un second rôle Bouli Lanners dans La Nuit du 12
Meilleur premier film Saint Omer, d’Alice Diop
Meilleur film étranger As Bestas, de Rodrigo Sorogoyen (Espagne)
César : des femmes qui «manquent»
L’actrice franco-iranienne Golshifteh Farahani, membre du jury à Berlin, a rendu hommage lors de la cérémonie des César au peuple iranien, dans un discours poignant. Louis Garrel, qui joue sous son propre nom dans le film de son père, avait, lui, évoqué la guerre en Ukraine (ce pays «vit une tragédie depuis un an maintenant à cause de cette guerre folle et criminelle»). Son film, L’Innocent, était parti favori de la cérémonie avec 11 nominations; il en sera finalement le grand perdant, reparti avec deux récompenses, celles du scénario et du meilleur second rôle féminin pour Noémie Merlant.
En recevant son César, cette dernière a eu une pensée pour «toutes celles qui auraient dû être célébrées». «Elles me manquent», a-t-elle ajouté. Cette année plus que les années précédentes – et malgré la victoire d’un film sur un féminicide –, les réalisatrices avaient été laissées de côté : aucune nommée pour la meilleure réalisation, une seule (Valeria Bruni-Tedeschi) pour le meilleur film. Plusieurs lauréates les ont ainsi sorties de l’oubli : Virginie Efira, César de la meilleure actrice pour Revoir Paris, a dédié son prix à sa réalisatrice, Alice Winocour, et a souhaité «l’étendre» à d’autres, dont Rebecca Zlotowski, avec qui elle a tourné Les Enfants des autres, absent des nominations. Alice Diop, César du meilleur premier film pour Saint Omer, a promis : «On ne sera ni de passage ni un effet de mode!»
Le festival de Berlin, qui depuis 2021 a remplacé les prix des meilleurs acteur et actrice par un unique prix d’interprétation non genré, a récompensé la performance de l’Espagnole Sofia Otero, une petite fille de huit ans, pour son rôle dans 20 000 especies de abejas, d’Estíbaliz Urresola, un film sur la question du genre et de la transidentité. Un sujet par ailleurs très présent à la Berlinale et reflété dans le palmarès : l’actrice trans autrichienne Thea Ehre a reçu le prix d’interprétation pour un rôle secondaire (dans Bis ans Ende der Nacht, de Christoph Hochhäusler), et le penseur français Paul B. Preciado, figure incontournable sur ces questions, a été récompensé du prix spécial du jury dans la section parallèle Encounters pour son premier film, Orlando, ma biographie politique. Offrant à l’Hexagone une récompense supplémentaire…
Berlin : le palmarès
Ours d’or Sur l’Adamant, de Nicolas Philibert (France)
Grand prix du jury Afire, de Christian Petzold (Allemagne)
Prix du jury Bad Living, de João Canijo (Portugal)
Ours d’argent de la meilleure réalisation Le Grand Chariot, de Philippe Garrel (France)
Ours d’argent de la meilleure performance Sofía Otero dans 20 000 especies de abejas (Espagne)
Ours d’argent de la meilleure performance de second rôle Thea Ehre dans Bis ans Ende der Nacht (Allemagne)