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A 81 ans, Letizia Battaglia n’a pas fini de batailler contre la mafia


Letizia Battaglia est une des premières photojournalistes femmes d'Italie. (Photos AFP)

« Il faut continuer à lutter jusqu’à la fin ». Letizia Battaglia, une des premières photojournalistes femmes d’Italie, a documenté pendant près de 20 ans les crimes de la mafia en Sicile. Et, à 81 ans, elle poursuit le combat.

Son nom de famille la prédestinait au combat (il signifie bataille, en italien). A 81 ans, Letizia Battaglia n’a rien perdu de son envie de défendre la veuve et l’orphelin contre un fléau qui gangrène encore la Botte jusqu’au talon. Et c’est avec une passion intacte qu’elle raconte ses clichés en noir et blanc, témoignages saisissants d’une Sicile des années 70 et 80 en proie aux crimes mafieux, aux exécutions quasi-quotidiennes, en plein jour, au cœur de la ville.

« La violence, les hommes qui meurent, la douleur des femmes, les enfants qui crient, on ne peut pas les oublier. Les enfants avec le visage triste quand ils voyaient leur père mort, c’est trop lourd et ce n’est pas fini », se souvient cette figure du photojournalisme, coupe au carré et toute vêtue de noir.

FRANCE-ITALY-CULTURE-MANIFESTO-FESTIVALUn de ses clichés les plus connus symbolise ce deuil, le portrait d’une jeune femme, paupières baissées, la moitié du visage plongée dans l’obscurité : Rosaria Schifani, veuve du garde du corps assassiné avec le célèbre juge Giovanni Falcone en 1992 à Palerme. « Je voulais aussi montrer ma douleur. Elle a fermé les yeux et la plus belle photo, c’est celle-ci. Parce que je pense que là, moi, je suis avec elle, dans ses yeux clos », décrypte Letizia Battaglia.

Née en 1935 à Palerme, mariée à 16 ans pour échapper à son père, divorcée 20 ans plus tard et après trois enfants, elle a commencé la photographie sur le tard, en 1974, pour un journal communiste sicilien L’Ora. Une époque très troublée : « Les mafiosi de Corleone étaient arrivés à Palerme pour la détruire, pour voler notre argent, pour donner de la drogue à nos enfants, c’était horrible. C’était une guerre civile, avec des Siciliens qui tuaient d’autres Siciliens. »

Une femme qui s’attaque aux mafiosi

Elle couvre jusqu’à cinq meurtres par jour. Et « une femme qui photographiait les mafiosi, c’était la honte. Une grande honte pour la mafia. J’ai eu quelques menaces, parfois j’ai eu très peur… Maintenant je le dis avec légèreté, mais c’était compliqué ». Son travail est remarqué, elle obtient la reconnaissance de ses pairs; reçoit en 1985 le prix américain Eugene Smith; est exposée en 1999 au festival Visa pour l’Image de Perpignan.

Dans une veine plus sociale, Letizia Battaglia dénonce également l’extrême pauvreté comme sur ce cliché montrant une mère, visiblement épuisée mais toujours droite, entourée de deux enfants et d’un bébé. Un pansement recouvre la main du nourrisson. « Pendant la nuit, le bébé a pleuré. Sa mère, exténuée, ne s’est pas relevée. Au matin, elle l’a trouvé ensanglanté. Un rat lui avait dévoré un doigt de la main gauche », précise la légende de la photo.

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Puis en 1992, l’assassinat du juge anti-mafia Falcone la détourne de la photographie. « J’ai dit alors que je voulais faire plus » pour combattre le crime et « j’ai commencé à faire de la politique ». Elle rejoint l’équipe du maire de Palerme. « C’est la plus belle expérience de ma vie, la plus exaltante car je faisais les choses pour les gens, pour la ville ». Elle a également été députée au Parlement régional mais, souligne-t-elle avec son franc-parler habituel, « ce n’était rien, je n’avais aucun pouvoir ».

Après la politique, retour à la photographie avec des expositions à travers le monde, l’édition de livres. Et toujours la lutte contre l’emprise de Cosa Nostra car « la mafia est devenue plus grande encore, elle est partout ». « Mes photographies, elles sont peut-être bonnes, on peut même peut-être dire que j’ai eu du succès. Mais ça, je m’en fous. Parce que ce que je voulais ce n’était pas le succès. C’était le changement. C’était que mes neveux, mes enfants et leurs enfants connaissent une réalité différente. Ce n’est pas le cas aujourd’hui ».

Le Quotidien/AFP