Homme aux mille vies, tour à tour résistant, journaliste, cinéaste et auteur de théâtre, le Français Armand Gatti est décédé jeudi à l’âge de 93 ans, laissant derrière lui une œuvre engagée, novatrice et marquée par les expériences collectives.
« Son cœur s’est arrêté ce matin », a affirmé Jean-Jacques Hocquard, à la tête de la compagnie La Parole errante créée par le dramaturge dans les années 80. Il était hospitalisé à Saint-Mandé pour une opération bénigne.
Né à Monaco le 26 janvier 1924 de parents émigrés italiens (père éboueur, mère femme de ménage), Sauveur Dante Gatti de son vrai nom connaît une enfance pauvre, et tout en gagnant sa vie très jeune, commence à écrire poésie et théâtre.
En 1942, il s’engage comme résistant en Corrèze. Arrêté l’année suivante, déporté, puis évadé, il rejoint Londres puis prend part à la campagne de France comme parachutiste. Cette expérience va considérablement nourrir son oeuvre.
Après la guerre, il se tourne vers le journalisme comme chroniqueur judiciaire, puis reporter (Le Parisien libéré, Paris Match, L’Express..).
Il remporte le prix Albert-Londres en 1954 pour une enquête sur les dompteurs de fauves avant de se consacrer exclusivement au théâtre à la fin des années 50.
C’est le metteur en scène Jean Vilar qui monte en 1959 sa première pièce au TNP, « Crapeau-buffle », qui « fait éclater les structures de l’écriture et de la mise en scène ». Mais la pièce est très mal accueillie par la critique.
Obnubilé par le besoin de toucher le public populaire, Armand Gatti l’insoumis renonce rapidement au théâtre traditionnel et multiplie à partir de 1968 les expériences, auprès d’immigrés, délinquants, défavorisés et détenus, dans des ateliers de création populaire, menés à travers la France.
Il puise ses sujets dans l’actualité et ses voyages (Chine, Cuba, Amérique latine, Irlande), utilise de multiples formes d’expression (audiovisuel, lecture de textes) et développe ses créations collectives en usine, collège, prison (« L’Arche d’Adelin », « Le Chat guerrillero », « le Canard sauvage », « La première lettre »).
Sa production théâtrale où le mythe se marie au quotidien au travers d’une écriture lyrique, est abondante et a été réunie dans neuf volumes au Seuil, pour la seule période allant de 1958 à 1975.
À partir de 1973, il se consacre à « la Parole errante », ateliers d’écriture et d’élaboration de spectacles avec ceux qu’il appelle « ses loulous » (analphabètes, chômeurs, immigrés, marginaux, prisonniers).
Puis il installe sa compagnie « La Parole errante », à Montreuil (Seine-Saint-Denis) dans un lieu baptisé « La Maison de l’arbre », où jamais las d’inventer, il fait travailler ses textes par ses stagiaires. Il crée également un spectacle avec les détenus de Fleury-Mérogis pour le Bicentenaire de la Révolution française en 1989.
En 2003-2004, dix-sept acteurs s’emparent de son texte-fleuve, « La Parole errante ». En 2006, il lit lui-même « Passage des oiseux dans le ciel », poème-scénario repris en 2007 à la Comédie française.
Egalement réalisateur de cinéma, Armand Gatti est connu pour son premier long-métrage « L’Enclos » (1961), qui traite de l’univers concentrationnaire.
Glaçant, le film imagine un chef de camp nazi jetant un détenu politique allemand et un juif français dans un même enclos. Il promet la vie sauve à celui qui aura tué l’autre au petit matin. Le film sera présenté dans plusieurs festivals.
C’est derrière la caméra qu’Armand Gatti va faire débuter deux jeunes passionnés, Luc et Jean-Pierre Dardenne. Les deux frères, devenus des cinéastes de renom multi-primés, ont commencé comme assistants du réalisateur.
Plus récemment c’est son petit-fils, Joachim Gatti, qui a fait la une des journaux pour avoir perdu un oeil en 2009 dans des heurts avec des policiers.
Il participait à une manifestation de soutien aux occupants d’une clinique désaffectée expulsés par les forces de l’ordre à Montreuil.
Le Quotidien / AFP