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Festival de Cannes : un tapis rouge bien saignant


L'équipe du film "Coupez" de Michel Hazanavicius.

Un an après la Palme d’Or à « Titane », bombe cyberpunk, sanglante et sans tabou, David Cronenberg promet en compétition de disséquer des êtres humains bien vivants : le Festival de Cannes est-il tombé amoureux du gore ?

Dès le lancement des festivités, le 17 mai au soir, le ton est donné avec le film d’ouverture « Coupez ! », signé Michel Hazanavicius, qui sort simultanément en salles. Le pape du pastiche et de la mise en abyme, de « The Artist » qui lui a valu les Oscars à « OSS 117 », s’attaque cette fois aux films de zombies avec une vraie-fausse comédie.

Le gore, « ça a un côté hyper ludique, comme pouvaient l’être les westerns », reconnaît Michel Hazanavicius, dont le film est à prendre au 37e degré : dans « Coupez ! », « il s’agit de zombies pour bébé ! », sourit-il.

Remake d’un film japonais sur le tournage catastrophe d’un long-métrage de zombies, avec au casting Bérénice Béjo et Romain Duris, le film promet de faire dégouliner la Croisette d’hémoglobine.

Il est aussi conçu comme une ode aux films de genre, longtemps regardés de haut par les gardiens du 7e art, mais qui ont désormais droit de cité sur les plus prestigieux des tapis rouges.

« Les festivals de cinéma comme Cannes sont connus pour mettre en lumière un cinéma qui repousse les frontières, des films qui peuvent ne pas être appréciés à leurs débuts, mais qui sont ensuite acclamés », explique à l’AFP Kate Robertson, experte new-yorkaise du cinéma et de l’histoire de l’art, pour qui les films gore font aujourd’hui partie des plus « singuliers, inventifs et défricheurs ».

La 75e édition du Festival de Cannes entend le prouver encore cette année, avec le retour en compétition de David Cronenberg, qui avait déjà éprouvé les nerfs des festivaliers en 1996, avec « Crash », tout de sexe, de violence et d’accidents de voiture.

Ses « Crimes du Futur » promettent de retourner les tripes : il y sera question d’ablation d’organes à vif, avec au casting Léa Seydoux et Viggo Mortensen.

Le réalisateur culte de « La Mouche » semble donc en revenir aux fondements du gore: l’exploration sur l’écran de cinéma de l’intérieur du corps humain, un sujet qui l’a toujours fasciné, relève Marc Godin, journaliste à Technikart et expert du genre.

« Le film promet de cliver, ce n’est pas pour tout le monde », analyse-t-il, expliquant qu’une telle oeuvre « n’est pas juste faite pour te révulser » mais relève du « gore cérébral ».

« Faire monter la mayonnaise »

Créer l’événement avec un film ou des séquences gorissimes semble être devenu l’un des passages obligés du Festival. Des réactions à « La Grande Bouffe » de Marco Ferreri en 1973 à la projection « d’Irréversible » de Gaspard Noé, en 2002, avec son insoutenable scène de viol, « Cannes attend toujours son scandale », poursuit Marc Godin.

Près d’un siècle après le « Chien Andalou » de Luis Buñuel, et son œil découpé plein cadre au rasoir, le gore est aujourd’hui l’un des moyens de susciter ce « buzz » cannois qui portera les films, pour le plus grand plaisir « des journalistes qui font monter la mayonnaise ». Voire, peut-être, d’exorciser nos angoisses pandémiques ou environnementales.

Après la fin sanglante de « Parasite », Palme d’Or 2019, l’an dernier a semblé marquer une consécration, avec sa Palme d’Or décernée au film le plus violent de la sélection, « Titane », signé Julia Ducournau, une réalisatrice trentenaire sacrée en deux longs-métrages nouvelle reine du gore.

L’héroïne, campée par Agathe Rousselle, y a le corps hanté par une masse de métal qui grandit dans son ventre, tandis qu’elle sue et saigne de l’huile de moteur. Mais pour des fans du genre, comme Kate Robertson, cette consécration reste l’exception qui confirme la règle.

« Le manque de considération de ce genre de films se reflète dans les prix » malgré tout, analyse-t-elle. « Le couronnement de (Julia) Ducournau l’an dernier était une surprise excitante pour beaucoup, (qui) promet peut-être que le milieu du cinéma évolue encore davantage ».