L’armée française, habituée aux interventions en Afrique, fait face à un scandale aux effets potentiellement dévastateurs à la suite des accusations d’enfants, selon lesquels des soldats les ont violés lors de l’opération Sangaris en 2014 en Centrafrique.
En juillet 2014, le ministère français de la Défense reçoit un rapport accablant, établi par des personnels du Haut-commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU positionnés en Centrafrique, où l’armée française s’est déployée dans le cadre de l’opération Sangaris, destinée à empêcher une guerre civile: une dizaine d’enfants – le plus jeune est âgé de huit ans – affirment qu’en échange de nourriture ou sous la menace, des soldats français ont abusé d’eux sexuellement.
Ces témoignages «retracent des faits qui auraient été commis sur une dizaine d’enfants, sur le site de l’aéroport de M’Poko (à Bangui), entre décembre 2013 et juin 2014», a précisé mercredi le ministère de la Défense, assurant avoir «pris toutes les mesures nécessaires pour permettre la manifestation de la vérité».
Conscient de la gravité des accusations et de leur portée, le ministère a affirmé que «si les faits étaient avérés, il veillera à ce que les sanctions les plus fermes soient prononcées à l’égard des responsables de ce qui serait une atteinte intolérable aux valeurs du soldat».
Le ministère ajoute avoir saisi, dès qu’il a été alerté par le rapport onusien, le Parquet de Paris qui a ouvert une enquête préliminaire encore en cours. Des membres de la gendarmerie prévôtale, composée de militaires disposant de prérogatives judiciaires et placés sous le contrôle du procureur de la République de Paris, sont partis en août 2014 en Centrafrique pour y commencer leur enquête.
« Double crime »
Ces accusations ont été révélées mercredi par le quotidien britannique The Guardian, à qui la codirectrice de l’ONG américaine Aids-Free World, Paula Donovan, a communiqué le rapport. Le document rassemble les témoignages de six enfants âgés de 8 à 15 ans, jugés très crédibles, et implique une quinzaine de soldats français qui auraient échangé de la nourriture, et parfois de petites sommes d’argent, contre des faveurs sexuelles.
«Les enfants ont témoigné qu’ils avaient faim et qu’ils pensaient pouvoir se procurer de la nourriture auprès des soldats», a expliqué à l’AFP Mme Donovan. La réponse des soldats était «si tu fais ça, alors je te donnerai à manger. Différents enfants ont employé un vocabulaire différent» dans leurs témoignages.
Certains disent avoir été violés, d’autres abusés et d’autres assurent avoir assisté au viol de leurs camarades. Certains ont été capables de donner de leurs agresseurs présumés une description précise, qui devrait permettre de les identifier.
Interrogée jeudi matin, la secrétaire d’Etat en charge de la Famille, Laurence Rossignol, a estimé qu’il s’agissait, s’ils étaient avérés, de «faits extrêmement graves».
«On sait très bien que dans les opérations de guerre ou dans les pays de désordre, ce sont les femmes et les enfants qui sont les victimes des prédateurs», a-t-elle dit. «Ca veut dire que ceux qui sont là pour les protéger seraient eux-mêmes des prédateurs. D’un certain point de vue c’est un double crime».
Pour sa part, Monseigneur Nzapaïlanga, archevêque de Bangui, a confié au journal Le Parisien : «D’après ce que j’entends, il s’agirait d’un ou deux soldats pouvant être directement impliqués mais il est trop tôt pour se prononcer. Toute institution a ses brebis galeuses. Il ne faut pas jeter l’opprobre sur l’armée française dans son ensemble, qui est une grande armée».
Le cadre suédois des Nations Unies qui a transmis à Paris le rapport, intitulé «Abus sexuels sur des enfants par les forces armées internationales», l’a fait en réaction à ce qu’il a considéré être l’inaction de l’ONU dans ce dossier. Depuis, Anders Kompass a été suspendu de ses fonctions et fait l’objet d’une enquête interne.
L’opération Sangaris a été lancée en décembre 2013: 2.000 soldats français ont été déployés, avec l’aval de l’ONU, pour restaurer la sécurité en Centrafrique et mettre fin à des massacres entre milices chrétiennes et musulmanes.
AFP