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Violences sexuelles dans le sport : la parole va-t-elle se libérer ?


La nécessité d'aider la parole à se libérer est d'autant plus forte que l'univers de la compétition peut contribuer à l’omerta. (illustration AFP)

Portée par l’affaire Weinstein et le phénomène #metoo, la parole sur les violences sexuelles dans le sport va-t-elle se libérer notamment en France ? Pour des experts interrogés, les freins sont encore puissants.

Après des révélations du Monde dimanche, la justice a ouvert deux enquêtes sur des entraîneurs d’athlétisme de haut niveau, le spécialiste du demi-fond Pascal Machat, et Giscard Samba, qui officie à l’US Créteil avec un CV bien rempli. Tous deux sont visés par des plaintes de jeunes femmes qu’ils avaient coachées. Le premier pour agressions sexuelles en 2013 et 2014, le second pour viol en janvier 2017 lors d’un stage en Italie.

Au-delà de ces deux dossiers, où les mis en cause nient les faits, les révélations sur des violences sexuelles restent rares dans le sport français. Le phénomène est pourtant bien identifié, notamment depuis la parution en 2009 d’une étude réalisée pour le ministère des Sports. Exhibitionnisme ou voyeurisme, harcèlement, agressions ou viols, 11% des athlètes interrogés se disaient victimes d’au moins une violence sexuelle dans le milieu sportif, et 6% se plaçaient dans une zone grise, disant ne pas savoir s’ils se considéraient victimes ou non.

Dix ans plus tard, l’affaire Weinstein, du nom du célèbre producteur américain de cinéma accusé de nombreux viols, qui a essaimé sur toute la planète, n’a pas eu de déflagration sur les terrains ou les pistes d’athlétisme en France. Même si un site internet « payetonsport » a vu le jour, recensant des dizaines et des dizaines de sentences sexistes entendues dans des vestiaires ou des gymnases.

« Le #Metoo change beaucoup de choses, y compris dans le milieu du sport », assure pourtant la sociologue Béatrice Barbusse, secrétaire générale de la Fédération française de handball après avoir présidé le club d’Ivry. « A mon petit niveau, ce que je vois et que j’entends, c’est que ces problèmes sont pris beaucoup plus au sérieux », note l’auteure du livre Du sexisme dans le sport. Mais si elle observe un début de changement de mentalité, Béatrice Barbusse relève aussi que les outils manquent pour faire remonter les informations, dans les clubs, ligues locales et fédérations. « Sur le bizutage, le problème a été pris à bras-le-corps. Mais face aux violences sexuelles, le mouvement sportif est assez désarmé. Chacun fait un peu comme il l’entend. Il manque un processus identifié, qui soit bien connu de tous, avec des obligations », pour prendre en compte la parole de la victime et mettre à l’écart un personnage dangereux, explique Béatrice Barbusse.

« Déni institutionnel fort »

En décembre, le ministère des Sports avait reconnu un « dysfonctionnement » quand Mediapart avait révélé que la Fédération française de motocyclisme n’avait pris aucune mesure pour sanctionner le patron d’un centre de moto-cross près de Nantes, condamné à quatre ans de prison avec sursis pour agression sexuelle sur une élève mineure, mais qui avait fait appel. Le ministère n’avait tout simplement pas été informé.

La nécessité d’aider la parole à se libérer est d’autant plus forte que l’univers de la compétition peut contribuer à l’omerta. « L’athlète est soumis à une telle pression du résultat qu’il n’ose pas parler, quand il n’est pas dans un déni ‘protecteur’ qui l’aide à rester dans sa fédé, dans son sport, dans son objectif de vie », explique le médecin Véronique Lebar, présidente du comité Éthique et Sport.

Un phénomène observé lors du procès de l’ancien entraîneur vedette de tennis Régis de Camaret, condamné à dix ans de prison pour les viols de deux anciennes élèves mineures, mais visé par de nombreuses accusations sur des faits prescrits. « Vous avez des jeunes filles qui sont loin de leur famille, toutes seules dans un pole espoirs ou en stage, ça les rend fragiles et vulnérables », décrit aussi Véronique Lebar. Face à cette réalité, « le déni institutionnel reste très fort, exactement comme dans le dopage ».

Le Quotidien/AFP