« Cela marquera toute une vie »: un an après l’attentat du marché de Noël de Strasbourg, alors que les chalets se réinstallent et que l’odeur de cannelle envahit à nouveau les rues, les proches des victimes mais aussi les témoins continuent à panser leurs plaies.
Le 11 décembre 2018, Damien Besançon devait passer une soirée tranquille au cinéma avec sa femme, quand il s’est retrouvé à pratiquer pendant de longues minutes un massage cardiaque à une victime de Cherif Chekatt, en vain. « Cela marquera toute une vie, cela change beaucoup la conception des choses. La vie ne tient qu’à un fil et on ne s’en rend pas trop compte quand ça n’arrive qu’aux autres », analyse-t-il, un an après. « Sens toujours en alerte », problèmes de sommeil: ce frigoriste, qui souffre de stress post-traumatique, a vu un psychologue pendant trois mois et un hypnothérapeute, mais dit surtout avoir appris à « faire avec » ce souvenir.
Un sentiment partagé par Maxime Ueberfill, restaurateur dans une des rues empruntées par le tueur, qui a été « cloîtré pendant des heures » dans son établissement. « Dans 2, 3, 10 ans, je pense que j’aurai toujours les coups de feu dans ma tête, c’est un truc qu’on ne pourra jamais oublier », confie-t-il. « Dans ma vie, je n’avais jamais entendu de coups de feu et là, une personne est décédée à 10 mètres devant moi, deux autres à 20 mètres derrière le restaurant. Donc, on était vraiment en plein milieu, ça m’a glacé le sang ».
Le retour du marché de Noël fait donc naître des sensations ambivalentes
Au fil de sa longue déambulation dans les ruelles du centre historique, Cherif Chekatt a tué 5 personnes et en a blessé une dizaine, semant la mort et le chaos dans certains lieux emblématiques des fêtes de Noël à Strasbourg, comme l’étroite rue des Orfèvres, aux vitrines recouvertes de décorations et de peluches. Le retour du marché de Noël fait donc naître des sensations ambivalentes chez certains Strasbourgeois. « Quelques personnes dont le suivi s’était arrêté au mois de mai ont rappelé pour revoir une psychologue », explique Faouzia Sahraoui, directrice de SOS aux Habitants, association référente pour l’accueil des victimes de terrorisme, qui gère l’espace d’accueil mis en place après l’attentat.
« Quand la date anniversaire revient, il peut y avoir des angoisses de reviviscence », note cette psychologue. Elle souligne toutefois que « la demande reste raisonnable, il n’y a pas de sollicitation massive », une semaine avant l’ouverture du marché de Noël. Regroupant juristes, psychologues, travailleurs sociaux, cette cellule a réalisé en un an « 1.660 entretiens dont 784 en vue d’un accompagnement psychologique », selon le décompte de la préfecture. Aujourd’hui, 80 personnes y sont encore suivies, dont 40 sur le plan psychologique, indique Mme Sahraoui. D’autres bénéficient d’un soutien administratif ou juridique, quelques-unes d’un accompagnement social. « Il y a quelques personnes qui ont perdu leur travail et ne sont pas en mesure d’en reprendre un car le traumatisme est encore là. Certaines ne sont plus en mesure de payer leur logement », explique-t-elle.
Après l’attentat il devient infirmier
Claire Audhuy, qui a perdu son ami Bartek dans l’attentat, reste suivie un an après par une psychologue de l’association Viaduq67, membre de cette cellule. « C’est une cellule d’urgence, mais moins d’un an après on est toujours dans cette urgence », dit-elle, entre rire et larmes, en évoquant la figure « christique et bordélique » de son ami. « J’ai des amis qui ne sont toujours pas allés voir (de psychologue), qui veulent y aller mais qui n’ont pas encore franchi le pas », souligne-t-elle, regrettant un manque de volonté politique pour maintenir la cellule dans le centre-ville.
Fin 2019, elle sera transférée dans les locaux de SOS aux habitants, dans le quartier de la Meinau, tandis que Viaduq67 a déjà regagné ses locaux à la périphérie. L’attentat a aussi fait prendre d’importants virages de vie à certains Strasbourgeois. Comme ce jeune homme qui, après un master en commerce international, a changé complètement d’orientation et a entamé des études d’infirmier en septembre. Le soir de l’attentat, il s’était occupé de proches des victimes de la rue des Orfèvres et de personnes choquées qui s’étaient réfugiées dans un restaurant.
LQ / AFP