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Une campagne choc censurée : « Une leucémie, c’est 20 000% de marge brute »


(capture d'écran)

L’ONG Médecins du Monde aurait dû lancer une campagne choc, ce lundi en France, contre le prix de certains médicaments. Mais il n’en sera rien, elle a été “bloquée” par l’Autorité professionnelle de régulation de la publicité (ARPP) qui juge qu’elle pourrait nuire aux laboratoires pharmaceutiques.

Une campagne choc contre les prix « révoltants » des médicaments pour soigner notamment le cancer et l’hépatite C, aurait dû être lancée ce lundi en France par Médecins du Monde (MdM) qui appelle le gouvernement à prendre ses responsabilités afin de permettre l’accès de tous aux traitements.

Mais il n’en sera rien. Tout simplement car aucun diffuseur n’a voulu prendre le risque de l’afficher – et par extension de se fâcher éventuellement avec un grand laboratoire. Tel est l’extrait du « conseil » transmis par l’ l’Autorité professionnelle de régulation de la publicité (ARPP) à la société Médiatransports.

L’ARPP pointe trois raisons : la « référence à des maladies graves » qui « pourrait être perçue comme choquante par le public », des « allégations chiffrés » qui ne sont pas sourcées sur les affiches et , surtout, l’ARPP écrit en première justification : « Nous attirons tout particulièrement votre attention sur le risque de réactions négatives que pourrait susciter l’axe de communication choisi, de la part des représentants de l’industrie pharmaceutique. En effet les entreprises ainsi mises en causes pourraient estimer qu’une telle campagne porte atteinte à leur image et leur cause un grave préjudice et décider d’agir en ce sens. »

Suite à l’avis défavorable de l’ARPP, Médiatransports renvoie un avis négatif à Médecins du Monde. Mais cela ne s’arrête pas là. L’ONG va alors solliciter d’autres afficheurs, parmi lesquels JC Decaux ou le réseau d’affichage Insert. Aucun ne donnera suite et pour cause: le “conseil” de l’ARPP a été « circularisé », c’est-à-dire envoyé à toutes les sociétés. Une pratique habituelle, mais qui aurait pu être bloquée par Médiatransports.

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« Des prix injustifiés »

Selon Médecins du Monde, qui a lancé une pétition, les prix « exorbitants mettent en danger le système de santé et on a déjà assisté au rationnement du traitement efficace de l’hépatite C pour la première fois de notre histoire », souligne Olivier Maguet, responsable à MdM de cette campagne. « Malheureusement cette tendance à l’inflation des prix ne fait qu’augmenter et la Sécurité sociale peut de moins en moins payer » ajoute-t-il en évoquant les nouveaux traitements du cancer (immunothérapie…), alors que 400.000 nouveaux cas de cette maladie sont observés chaque année.

Des « prix qui ne sont pas justifiés » selon l’ONG qui dénonce les « marges colossales et révoltantes » des laboratoires pharmaceutiques dans sa campagne conçue par l’agence DDB Paris. Elle se décline en douze affiches axée sur la rentabilité des maladies : « Avec l’immobilier et le pétrole, quel est l’un des marchés les plus rentables ? La maladie » et « 1 milliard d’euros de bénéfice, l’hépatite C on en vit très bien ».

Autre exemple : « Le mélanome c’est quoi exactement ? C’est 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires ». La pétition adressée à Marisol Touraine, ministre de la Santé pour faire baisser le prix des médicaments est accessible en ligne (www.leprixdelavie.com). La campagne d’affichage urbain (métro, abribus, …) a été refusée par l’ensemble des réseaux d’afficheurs en raison d’un risque de réactions négatives de la part de l’industrie pharmaceutique, affirme le Dr Maguet.

Les 1.200 bénévoles de l’ONG feront donc un « affichage sauvage » de la campagne par ailleurs diffusée via le web et les réseaux sociaux et dans les grands quotidiens nationaux. Le Solvadi (le sofosbuvir du laboratoire américain Gilead), premier des antiviraux efficaces contre l’hépatite C, a été un révélateur. Le traitement de 3 mois est vendu 41.000 EUR (hors rabais) par patient alors qu’il coûterait moins de 100 euros à produire, selon les travaux du chercheur Andrew Hill de l’Université de Liverpool, souligne MdM.

Un rapport sénatorial américain de 2015 sur ce médicament a mis en évidence « la logique de maximisation du profit » à l’oeuvre dans tout le secteur comme avec les nouveaux médicaments contre le cancer, relève M. Maguet. Les autorités chargées de réguler le marché des médicaments – qui dépendent de l’Etat – ne jouent plus leur rôle et s’alignent trop souvent sur les prix avancés par les laboratoires, déplore le Dr Françoise Sivignon, présidente de MdM.

De son côté, le Leem (industrie pharmaceutique) « réagit avec la plus grande fermeté aux propos caricaturaux et outranciers tenus par Médecins du Monde ». « Le prix de ces médicaments est fixé par le Comité économique des produits de santé (organisme dépendant de l’Etat, ndlr) à l’issue de négociations avec les industriels » rappelle-t-il.

Le Quotidien avec AFP