Le patron d’un bar-tabac de Lavaur (Tarn) est jugé pour « meurtre », à partir de lundi à Albi, cinq ans après avoir tué un jeune cambrioleur de 17 ans d’une balle de fusil de chasse, dans une affaire où la notion de légitime défense sera très discutée.
Le cafetier aujourd’hui âgé d’une soixantaine d’années, Luc Fournié, avait passé une dizaine de jours en détention provisoire, juste après le drame. Depuis il a repris le travail dans son bar-tabac-journaux à l’ancienne, dont la terrasse donne sur un rond-point de la petite ville Lavaur (10 000 habitants), à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Toulouse.
Pendant trois jours, les jurés et magistrats de la cour d’assises du Tarn vont se pencher sur le meurtre commis en pleine nuit, le lundi 14 décembre 2009 : Jonathan, lycéen de 17 ans, avait été abattu vers 2h30 du matin, alors qu’il venait de rentrer par effraction dans le commerce de Luc Fournié, avec un autre adolescent mineur, qui avait pu échapper aux tirs et s’enfuir.
Le buraliste était alors particulièrement sur ses gardes : il avait déjà constaté que les barreaux d’une fenêtre avaient été sciés et s’en était ouvert aux gendarmes. Dans le passage menant au bar, il avait tendu du fil entre des chaises. Et lui qui vivait habituellement dans le logement situé au-dessus, avec sa mère de 87 ans et sa sœur, s’était mis à dormir au rez-de-chaussée.
La nuit du drame, entendant du bruit, il s’était emparé de son fusil et, « pris par la peur » selon sa défense, avait ouvert le feu. « Tout d’abord, nous ne pouvons que regretter qu’un gamin de 17 ans soit mort. Mais il n’avait pas une pancarte ‘je suis un gentil cambrioleur’ « , dit sans ambages l’avocat de l’accusé, le pénaliste toulousain Georges Catala.
« Luc Fournié n’avait aucune propension à faire le Dupont-Lajoie », plaide-t-il, en référence à un film noir de 1974 consacré à un terrible cafetier meurtrier. « Il n’a aucun passé judiciaire, c’est un type qui aime les gens, simplement, il était en panique quand il a tiré dans la pénombre », assure-t-il.
« Interdit de se faire justice soi même »
De son côté, l’avocat de la famille de la victime, Me Simon Cohen, rappelle que le buraliste aurait pu « tirer en l’air » ou « appeler la gendarmerie » toute proche. « La légitime défense suppose que l’auteur des faits ait agi dans le temps même de l’agression », remarque cet autre ténor du barreau toulousain.
« En l’espèce, l’accusé a prémédité sa riposte qui, de plus, n’était absolument pas proportionnée parce qu’aucun des deux jeunes hommes n’étaient armés ».
Pour l’avocat de la partie civile, « la question posée aux jurés sera de savoir s’ils acceptent de consacrer le droit à l’autodéfense. Si c’était le cas, M. Fournié, qui a déjà un trophée – le corps de Jonathan – repartirait avec une médaille! Ce serait la fin d’une société civilisée qui, précisément, interdit de se faire justice soi même ».
Quelques jours avant de comparaître, l’accusé a donné une interview à un hebdomadaire local du Tarn, Le journal d’ici, dans son bar-tabac. Il y assure avoir toujours « peur d’un simple bruit » la nuit quand « tout prend des proportions déraisonnables. « J’ai toujours peur que ça recommence et je me demande toujours quelle sera ma réaction ».
« J’aimerais pouvoir parler à la maman de Jonathan », dit aussi le cafetier. « Saurais-je seulement ce que je peux lui dire ? ». Mais l’avocat de la famille a déjà averti que l’accusé « ferait mieux de comprendre que la seule manière de faire un pas en direction de la famille, c’est d’accepter que ce meurtre n’est pas un acte de légitime défense ».
AFP