Après le départ de Christiane Taubira, magistrats et avocats attendent de pied ferme le nouveau ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas, espérant qu’il parvienne à redonner du poids à une autorité judiciaire malmenée dans le contexte sécuritaire créé par les attentats.
Juges, avocats, notaires, greffiers, personnel pénitentiaire… en trois ans et demi à la Chancellerie, Christiane Taubira, qui a remis sa démission ce mercredi, a réussi la performance de mettre toutes les professions du droit en grève ou dans la rue, contre le manque de moyens ou le sentiment de ne pas être suffisamment défendu.
Son dernier projet de réforme pénale renforçant la lutte contre la criminalité organisée, présenté mercredi prochain en conseil des ministre, a lui aussi suscité de vives réactions contre le recul du juge judiciaire face à l’autorité administrative.
«Pourquoi l’autorité judiciaire est-elle ainsi évitée?», s’est demandé le plus haut magistrat de France Bertrand Louvel lors de l’audience de rentrée de la Cour de cassation qu’il préside. C’est dans ce contexte tendu que va s’installer place Vendôme Jean-Jacques Urvoas, déjà montré du doigt pour sa proximité avec le Premier ministre Manuel Valls, pilote du virage sécuritaire du gouvernement.
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«On attend du nouveau ministre qu’il rende à la justice la place qui devrait être la sienne, une place prise ces dernières années par le ministère de l’Intérieur et Bercy, toujours sortis vainqueurs des arbitrages ministériels», a expliqué à Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire).
«Le point positif, c’est qu’il connait bien les institutions, ses problématiques et ses acteurs», souligne la magistrate, qui juge sévèrement le bilan de sa prédécesseur. «Au final, on aura eu beaucoup de mots et peu de réformes abouties», grince-t-elle
« Une Chancellerie forte »
Pour le Syndicat de la magistrature (SM, gauche), c’est également à l’aune de sa capacité «à défendre la justice et les libertés individuelles» que sera jugé le nouveau ministre.
«On est aujourd’hui dans une dynamique accélérée dans laquelle les intérêts de la justice sont inféodés à ceux du ministère de l’Intérieur», déplore sa secrétaire générale Laurence Blisson. «L’enjeu, c’est de sortir de cette soumission», résume la magistrate, qui s’inquiète du parcours du nouveau ministre «pressenti un temps à l’Intérieur et rapporteur de la loi sur le renseignement».
Dans un ouvrage paru en 2011, Jean-Jacques Urvoas proposait un rapprochement entre les ministères de la Justice et de l’Intérieur. Sur le bilan de Christiane Taubira, le SM met en parallèle «un discours de rupture sur la justice pénale, la place de l’emprisonnement, les grands principes» et «une action gouvernementale extrêmement pauvre».
«C’est sans doute parce qu’il n’y a pas eu de volonté de l’exécutif de rompre avec la logique sécuritaire», analyse la représentante du SM en soulignant la perte progressive d’influence de l’ex-garde des Sceaux. Conséquence, certains professionnels espèrent du nouveau ministre, mieux en cour, un retour d’influence de la Chancellerie.
«Nous voulons une Chancellerie forte», explique Pierre-Luc Vogel, président du Conseil supérieur du notariat, qui dit avoir souffert d’une «cotutelle» de Bercy sur sa profession. «Notre ministre nous faisait espérer une restauration de l’autorité judiciaire, elle n’a pas réussi», constate également Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux (CNB).
«Les juges sont de plus en plus malmenés, ils n’ont pas assez de moyens, ils ne sont pas respectés. J’attends de M. Urvoas qu’il replace le juge judiciaire dans sa fonction d’autorité», explique l’avocat. «Mme Taubira n’a pas réussi à mettre ses qualités assez exceptionnelles au service de sa mission. Mais peut-être ne lui en a-t-on pas laissé les moyens», juge le représentant des avocats.
Son confrère Yves Mahiu, président de la conférence des bâtonniers, partage cette analyse: «Christiane Taubira avait une réelle volonté de faire avancer un certain nombre de dossiers» mais «n’avait pas tous les leviers de commandes», dit-il.
«Le projet de réforme de la procédure pénale éloigne le juge du siège et donc l’avocat. Nous allons devoir être vigilants, quel que soit le ministre», souligne l’avocat.
AFP/M.R.