Le ministre français de l’Économie Bruno Lemaire a critiqué jeudi l’ouverture par les États-Unis d’une enquête sur les effets de la taxe française sur les géants du numérique, estimant que le dialogue devait primer et pressant pour « une solution internationale ».
« Je crois profondément qu’entre alliés, nous devons et nous pouvons régler nos différends autrement que par la menace », a affirmé Bruno Lemaire devant le Sénat français. « La France est un État souverain, elle décide souverainement de ses dispositions fiscales et elle continuera de décider souverainement de ses décisions fiscales », a-t-il lancé.
« Je veux redire à nos partenaires américains que cela doit être une incitation pour eux à accélérer encore plus les travaux sur la solution internationale de taxation du numérique à l’échelle de l’OCDE », a-t-il poursuivi. « Nous aurons d’ici dix jours, le G7 des ministres des Finances à Chantilly (près de Paris, ndlr), le secrétaire américain au Trésor sera présent, accélérons les travaux au niveau international trouvons une solution commune, trouvons une solution au niveau de l’OCDE et passons par des accords plutôt que des menaces. Cela me semble de meilleure politique pour traiter cette question fondamentale de la taxation des géants du numérique », a-t-il prôné.
Une taxe d’abord européenne, mais mise en échec
Le ministre avait auparavant rappelé aux sénateurs que la France avait poussé pour une taxe européenne, finalement mise en échec par quatre pays. Les États-Unis ont annoncé mercredi avoir lancé une enquête sur les effets de la taxe visant les géants du numérique qui a finalement été adoptée jeudi matin. Cette enquête – ouverte sous l’article de la loi du commerce dit « Section 301 » – pourrait, en fonction des conclusions auxquelles elle aboutit, entraîner des mesures de représailles américaines.
Devant les sénateurs français, Bruno Lemaire a souligné que c’est « la première fois dans l’histoire des relations entre les États-Unis et la France que l’administration américaine décide d’ouvrir une procédure au titre de la section 301 », précisant avoir eu une longue discussion à ce sujet mercredi avec le secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin.
C’est quoi la « taxe Gafa » ?
Ce jeudi, le Parlement français a définitivement adopté l’instauration d’une taxe sur « Gafa », faisant de la France l’un des premiers pays à imposer le chiffre d’affaires des géants du numérique.
Elle devrait s’appliquer à une trentaine de groupes incluant donc Google, Amazon, Facebook et Apple (Gafa) ainsi que Meetic, Airbnb, Instagram ou encore la française Criteo, et rapporter 400 millions d’euros en 2019, puis 650 millions en 2020.
Voté en première lecture au printemps dans les deux chambres dans des versions différentes, le texte avait fait l’objet fin juin d’un compromis en commission mixte paritaire (CMP) approuvé le 4 juillet par l’Assemblée nationale. Le projet de loi porté par le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire fait de la France un des pays pionniers en la matière. Il vise à taxer les activités numériques qui « créent de la valeur grâce aux internautes français ».
Mais cette solution unilatérale a vocation à n’être que temporaire, dans l’attente d’un aboutissement de négociations internationales. Le G20 Finances réuni début juin au Japon a enregistré des progrès sur ce dossier: les argentiers des grandes économies de la planète ont promis de « redoubler d’efforts » pour « remettre de la justice fiscale sur la scène internationale », selon les propos de Bruno Le Maire.
L’objectif est de parvenir à un accord final d’ici à 2020, une avancée rendue possible par le changement d’attitude des Etats-Unis, qui bloquaient les négociations depuis des années. Les divergences restent toutefois importantes sur les moyens d’application, Washington privilégiant une approche très large ne se limitant pas au secteur du numérique.
Une inspiration européenne
La « taxe Gafa à la française » s’inspire largement d’un projet européen qui n’a pas abouti en raison des réticences de l’Irlande, de la Suède, du Danemark et de la Finlande. Concrètement, elle vise les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires sur leurs activités numériques de plus de 750 millions d’euros dans le monde, dont 25 millions d’euros pouvant être rattachés à des utilisateurs localisés en France.
L’idée est de les imposer à hauteur de 3% du chiffre d’affaires réalisé en France notamment sur la publicité ciblée en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes par les plateformes. En première lecture, le Sénat avait inscrit dans le texte le caractère « temporaire » de la taxe, prévoyant son extinction au 1er janvier 2022. Cette mention a été supprimée en CMP.
Mais la taxe a bien vocation à être retirée dès qu’il y aura un accord mondial, a assuré le ministre, et un rapport annuel est prévu sur l’évolution des négociations internationales.
LQ/AFP