Stéphane Gillet, l’ancien portier de la sélection et du Paris Saint-Germain, continuait de suivre discrètement le foot national sans rien y faire et sans cacher sa nouvelle passion adultérine pour le rugby. Après un énorme coup de blues, il revient à ses premières amours en ouvrant une école pour gardiens de but.
La semaine dernière, dix ans après la fin de sa carrière professionnelle, il paraît qu’on a encore parlé de Stéphane Gillet sur une grande chaîne de radio française : RMC. Alors que la fin du mercato battait son plein avec son chapelet de débats interminables, l’ancien international français et entraîneur du PSG Luis Fernandez s’y est fait harceler par quelques invités mesquins de son émission Luis Attaque , au sujet de ses transferts effectués du temps de sa splendeur parisienne.
«Mais toi aussi tu recrutais plein de petits jeunes ou des gars inconnus. Genre Stéphane Gillet…» , lui aurait, grosso modo, balancé un type non identifié, mal intentionné et à la mémoire franchement sidérante, puisque se souvenir 1) d’un joueur luxembourgeois, 2) débarqué en 2001 dans la capitale, 3) en provenance d’Elversberg… relève de l’exploit.
Ce sont ses coéquipiers français du Rugby Club Luxembourg qui ont annoncé ça, rigolards, à Gillet, en arrivant au vestiaire un soir d’entraînement. Ils se seraient sûrement abstenus si l’histoire s’était mal terminée pour leur deuxième ligne, mais Luis Fernandez – en tout cas c’est la chute qu’on lui a racontée – ne s’est pas démonté : «Oui mais Gillet, il était irréprochable, il faisait tout.» Sublime écho d’une vie lointaine.
Et d’une vie, surtout, restée très imperméable aux suiveurs du football luxembourgeois. C’est bien simple, pour le supporter lambda, c’est un peu comme si Stéphane Gillet n’avait jamais vraiment été totalement professionnel. Dans l’ordre : formation au Standard où il n’a jamais eu sa chance chez les pros, deux ans en D3 allemande à Elversberg, deux autres comme numéro 3 du Paris Saint-Germain (derrière Lionel Letizi et Jérôme Alonzo), un an dans le modeste club suisse du FC Wil, puis une pige de quelques mois à Chester, au quatrième échelon anglais. Ce CV-là, celui du seul gardien luxembourgeois ayant vécu de son sport, est en clair-obscur pour l’observateur tatillon.
La couronne d’épines du PSG
Décryptage comme si vous étiez dans la caboche d’un esprit chagrin : peu importe que le remplacement de Robert Waseige à Liège ait bouleversé la donne à Sclessin, le Luxembourgeois n’a jamais eu sa chance à sa sortie de formation, un point c’est tout. Peu importe la 3 e Bundesliga, puisque à l’époque, elle n’avait pas du tout le même impact médiatique qu’aujourd’hui. Peu importe son année suisse puisque c’était dans l’anonymat d’une équipe à l’histoire riquiqui. Peu importe qu’il ait trouvé la force et le courage de rebondir en Grande-Bretagne après deux ans au Grand-Duché, puisque c’était loin des sommets.
Mais voilà, il y a eu le PSG : son exploit ET sa couronne d’épines. «La mentalité luxembourgeoise est allemande, analyse froidement Gillet. Déjà, ils suivent peu la Ligue 1, mais en plus, ils se disaient sûrement : « Il ne joue pas, c’est donc qu’il est mauvais. » Que chacun pense ce qu’il veut de moi.» Le témoignage d’Arny Kirsch, qui l’a drivé en sélection, concorde sur ce point et a le mérite d’être honnête : «Il nous est difficile de le juger : on ne l’a pas suivi de trop près.» Un comble.
« Beaucoup de jeunes du pays se prennent pour des vedettes »
Gillet, au début des années 2000, laisse-t-il indifférent? À la base, il s’en fout, mais ça a dû quand même le travailler un peu. Sans quoi lui et son vécu non négligeable n’auraient pas disparu de la sorte de la surface du foot luxembourgeois. En même temps, a-t-on franchement envie de continuer à se mélanger à des gens qui n’ont pas connu la moitié de ce qu’on a vécu, mais se paient le luxe de vous snober sans avoir 10 % de votre éthique de travail?
Ainsi, le même garçon qui avoue avoir été incapable de voir les intendants du Camp des Loges – payés pour ça – lui décrotter ses crampons parisiens (il l’a fait lui-même pendant deux ans, ce qui dénote tout de même furieusement dans ce monde de divas), n’a pas supporté l’inverse, à son retour, que ce soit au RFCU, à la Jeunesse ou à Steinfort : «La mentalité de beaucoup de jeunes du pays qui se prennent pour des vedettes (…). Un jour, j’ai décidé que j’en avais marre. J’ai alors connu un gros coup de blues.»
Et le besoin de tout plaquer peut-être un peu en se rendant compte qu’il aurait pu laisser une vraie trace si les hasards de sa carrière ne l’avaient pas conduit au bon endroit mais au mauvais moment.
C’est qu’en sortant d’Elversberg, il est suivi notamment par Sarrebruck, Cologne mais pas que… Il y avait la place pour, tout doucement, grandir et se bâtir une vie de titulaire à un bon niveau. Et donc exister aux yeux du Luxembourg. Mais voilà : démarché par Roby Langers, le PSG a envoyé son entraîneur des gardiens, Dominique Leclercq, qui lui formule une offre très concrète après avoir «vu ce qu’il avait dans le ventre» .
« C’est moi qui ai ouvert tous les comptes en banque de Ronaldinho »
Il ne lui fait pas une promesse très jolie à l’oreille, mais, pour Gillet, elle sonne comme un chant des sirènes : «Tu ne seras même pas forcément numéro 2, mais je te promets que tu auras du travail.» Ce n’est pas refusable pour un garçon qui a refusé l’offre du CS Grevenmacher pour tenter sa chance en Belgique et qui «sait qu’il ne sera jamais le meilleur» .
Et pendant deux ans, comme l’a synthétisé Luis Fernandez (qui souhaitait l’amener avec lui au Beitar Jerusalem), il «fait tout» . Il dit oui quand on l’appelle à 7 h 30 du matin après un match international pour qu’il prenne un avion en urgence, parce que les attaquants du PSG aimeraient «tirer sur lui» lors de la séance du matin, prévue aux alentours de 11 h. Il aide, assiste même, la pépite Ronaldinho qui n’entrave pas un mot de français et n’en écrit pas beaucoup plus : «C’est moi qui lui ai ouvert tous ses comptes en banque.»
Il se fade en outre bien plus de matches amicaux en début de saison que d’officiels, et a l’honneur d’affronter tous les meilleurs clubs européens : «Le Barça, Benfica, Manchester, Liverpool, le Bayern…» Bref, il fait le job en laborieux et ce n’est pas moins louable que d’être un numéro 1 brillant mais sans en baver. Mais ça, personne ne le remarque.
Lui a aimé, a «apprécié tous les moments», même s’il s’est vite rendu compte «que ce serait un instant très bref», et que de toute façon, «après une semaine, j’ai bien vu que ce n’était pas mon style de vie» . «Avec du recul, c’était un pas trop loin» , reconnaît le gardien.
« La parole donnée, c’est important, non ? »
Gillet ne parviendra jamais par la suite à monnayer tout ça, cette expérience humaine qui raconte son investissement, son sérieux plus que son talent. À la sortie de son contrat, les contacts qu’il pourrait décrocher se heurtent à sa droiture qui est plus de la naïveté qu’autre chose. Il ne comprend pas les subtilités de langage, «il y avait trop de fumée, trop de blabla» dans les prises de contact. Et la franchise, bon sang?
«La parole donnée, c’est important, non? Et puis, de toute façon, tout le monde pensait que j’étais très cher en quittant le PSG. Pour un gardien, une carrière, c’est quitte ou double. Il faut plus de chance que pour un joueur de champ.» Bref, il en a eu une belle de carrière, mais paradoxalement, il est peut-être passé à côté. Il n’a pas la tournure d’esprit pour se poser la question de cette manière, mais cela doit l’effleurer, comme doute.
C’est que l’absence de reconnaissance dans son propre pays a fait front commun avec une carrière limitée en sélection, où il ne compte que vingt apparitions malgré son statut pro. Écarté par Simonsen en 2002 au profit d’Alija Besic ( «Il était très déçu, carrément à genoux» , avoue Kirsch), démissionnaire pour se consacrer à sa reconversion dans le bâtiment (il dirige aujourd’hui quatre sociétés et trente employés) sous Hellers, le garçon n’a même pas pu s’acheter au niveau international la crédibilité qui n’aurait même pas dû se discuter.
« Comme un gardien, le rugbyman ne peut pas se rater »
C’est le rugby qui l’a remis d’aplomb. Une semaine après avoir quitté Steinfort, en 2010, il se présente à Cessange. Le coach, l’Irlandais Jean-Paul Keane, le toise avant de lui demander s’il a déjà fait du sport. «Oui, du football.» Râle de désespoir : «Et quel poste?» «Gardien.» Ça passe. Et le mariage va fonctionner parce que la philosophie de ce sport lui colle plus à la peau. On y vient pour l’aventure humaine, pour boire des coups entre potes, pour se sacrifier pour l’autre, sur un pied d’égalité. Exactement ce qu’il a fait quand il était au ballon rond et que peu de gens ont compris.
Et puis, un peu mystique, Gillet voit, Gillet raconte le joueur de rugby de la même façon que les gardiens : «Comme un gardien, le rugbyman a la même pression : il ne peut pas se rater. S’il foire son plaquage, toute l’équipe trinque. C’est comme faire gardien : pas le droit à l’erreur, c’est une philosophie. Être gardien de but, ce n’est pas être joueur de foot.» Ça tombe bien, il ne l’était plus. Ni dans les faits ni dans la tête.
Fabriquer des gardiens
Et là, d’un coup, ça vient de revenir. La flamme. Au contact de son «gourou» Michel Hausman et d’un pote, Kevin Hartert. Il nous revient de nulle part, Gillet, pour enfin prendre sa part dans la reconstruction d’un véritable réservoir de gardiens de but au pays, un secteur sinistré. Il a connu les générations Koch, Felgen et se retrouve devant le vide sidéral de l’après-Joubert, qu’il faut envisager dans l’urgence. Il a donc décidé de créer, de son côté, une école pour portiers qui ouvrira le 4 avril à Kehlen, plutôt que de dire oui à un seul club «pour faire trente minutes de shoot sur un gars avant que le coach principal ne le réclame pour une opposition».
Fabriquer un gardien, cela nécessite du temps et de l’investissement. Il en a lui-même fait preuve en s’exilant quatre ans à Liège dès ses 16 ans, dans une famille d’accueil. C’est ce don de soi qu’il rêverait de retrouver chez d’autres, d’inculquer en plus des bases techniques et physiques. «Par passion», dit-il, avouant qu’il aimerait bien bosser, un jour, pour la FLF. Peut-être que lui saurait comment fabriquer des gardiens professionnels. Des gars qui comprennent que quand on est gardien, on est souvent seul contre tous.
Julien Mollereau
Stéphane Gillet en bref
38 ans (né le 20 août 1977)
Clubs successifs : Mersch, Spora, Standard Liège (1994-98), Spora (1998-99), Elversberg (1999-01), Paris SG (2001-03), FC Wil (2003-04), Union (2004-05, RFCU (2005-06), Chester City (2006), RFCU (2006-07), Jeunesse (2007-08), Steinfort (2008-10)
20 sélections nationales entre 2000 et 2006
Rugby Club Luxembourg (2010-?)