L’un était le club de l’Armée rouge, l’autre tire son nom de Spartacus, héros de l’Antiquité avant de devenir un symbole de la révolte prolétarienne. Née à l’époque soviétique, la rivalité entre le CSKA et le Spartak Moscou reste l’une des plus fortes du football russe.
Les deux équipes s’affrontent dimanche sur le terrain du CSKA, avec un titre de champion de Russie en jeu. Ce sera leur 183e affrontement, et pas le moins important. En tête avec sept points d’avance sur son rival à cinq matches du terme, le Spartak Moscou pourrait décrocher un trophée qui lui échappe depuis 16 ans.
« Le Spartak était l’équipe du peuple », résume Vaguiz Khidiatoulline, qui a porté les couleurs des deux équipes dans les années 1970 et 1980. Mais au CSKA, ajoute cet ancien défenseur de Toulouse, « quand un officier arrivait, tous les joueurs devaient se lever et l’écouter ».
Si le football russe n’attire plus les foules, ce derby moscovite reste un match attendu par tous. Car la rivalité entre le Spartak et le CSKA remonte à une époque où chaque équipe représentait une face différente de la société: l’armée contre le peuple.
Le Spartak Moscou est fondé en 1922 par Nikolaï Starostine, l’aîné d’une fratrie de fans de football. Il nomme son club « Spartak », Spartacus en russe, en référence à l’esclave et gladiateur dont la révolte d’esclaves menaça la République romaine avant de devenir au XXe siècle une figure incontournable pour les mouvements communistes en Allemagne et dans tous les pays du bloc de l’Est satellites de l’Union soviétique.
Tirant sa fierté de son indépendance vis à vis des autorités soviétiques, le jeune club gagne rapidement le soutien des ouvriers et devient le club le plus populaire et le plus titré, remportant 10 championnats et 12 coupes d’URSS.
Fondé en 1911 et rattaché à l’Armée rouge en 1923, le CSKA ne peut pas en dire autant. Le développement de ce club aux multiples associations sportives –du basket-ball au water-polo– est facilité par le soutien des militaires.
Pour le Spartak Moscou, surnommé « la Viande » en raison de ses liens originels avec un syndicat de l’industrie alimentaire, ne pas avoir le soutien des puissantes structures de sécurité soviétique a souvent posé problème.
Dans les années 1940, les frères Starostine sont ainsi envoyés au Goulag par Lavrenti Beria, le tout puissant chef de la police secrète soviétique (NKVD) dont le club-affilié était le Dynamo Moscou.
Mais surtout, dans sa rivalité avec le Spartak, le CSKA avait un gros avantage: il pouvait forcer les joueurs des équipes adverses à passer leur service militaire et ainsi les recruter. Du coup, « en matière de recrutement, le CSKA était une des meilleures équipes », se souvient Vaguiz Khidiatoulline, qui a joué pour le CSKA de 1981 à 1983 après quatre ans passés au Spartak.
Pour Robert Edelman, spécialiste du football soviétique et enseignant à l’université de San Diego, être un supporter du Spartak Moscou était pour beaucoup de citoyens soviétiques un moyen subtil de protester contre le régime.
« Je pense que les supporters qui ont 40 ans et plus partagent encore l’esprit ‘cool’ du Spartak, l’idée que c’était une équipe civile. C’était une façon plus humaine d’être soviétique », explique-t-il.
Reste que l’influence de l’Etat se faisait aussi sentir au Spartak, le KGB gardant en permanence un oeil sur les joueurs lors des matches à l’étranger pour empêcher les défections à l’Ouest.
« On travaillait toujours avec des tchékistes », se souvient Vaguiz Khidiatoulline en utilisant l’ancien nom des agents du KGB. « Ils n’étaient pas vraiment visibles mais ils étaient là ».
Après la chute de l’URSS en 1991, le football russe traverse les mêmes secousses que le reste de la société. Les clubs de football sont privatisés, les liens du CSKA avec l’armée se distendent mais l’opposition entre les deux clubs demeure.
La décennie 1990 est celle du Spartak Moscou, qui remporte neuf fois le championnat entre 1992 et 2001. Les années 2000 voient la domination du CSKA, qui s’offre six titres et devient en 2005 le premier club russe à remporter une coupe d’Europe, la Coupe de l’UEFA (désormais Europa Ligue).
Et s’ils n’atteignent plus les affluences des années 1960, quand plus de 100.000 spectateurs pouvaient s’entasser dans le stade Lénine – aujourd’hui Loujniki – pour les derbies, le CSKA et le Spartak sont avec le Zenith Saint-Pétersbourg les deux seuls clubs du football russe à régulièrement remplir leurs stades.
Une rivalité qui ne va pas sans excès. Chaque derby est l’occasion de tifos gigantesques dans les tribunes des deux stades, mais aussi parfois d’affrontements violents entre les supporters.
Le Quotidien / AFP