Qui sont les personnes suivies pour radicalisation en France ? Pour la première fois, le gouvernement va entrouvrir un de ses fichiers les plus sensibles à une poignée de chercheurs dans l’espoir de comprendre, sinon prévenir, les dérives jihadistes.
En annonçant cette décision en avril, le gouvernement avait expliqué vouloir « mieux comprendre » la radicalisation islamiste. « Non pas pour excuser mais pour mieux détecter, mieux prévenir, tout simplement pour mieux protéger », avait dit le Premier ministre Édouard Philippe. D’ici quelques semaines, des chercheurs triés sur le volet pourront donc éplucher les quelque 11 000 « profils actifs » du Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).
« Il s’agit d’une base de travail énorme », s’émerveille, sous couvert d’anonymat, un spécialiste de ces questions, soulignant les limites des ressources actuelles pour comprendre les ressorts complexes de la radicalisation. « Les sources judiciaires sont compliquées d’accès et il s’agit uniquement d’affaires terminées », poursuit-il. Quant aux entretiens en prison, « cela aboutit à un travail très qualitatif, qui est utile, mais il y a très peu de travaux quantitatifs d’ampleur », souligne-t-il. « L’ouverture du fichier permettra ce travail ».
Qu’attend le gouvernement ?
Créé en mars 2015 après les attentats de Charlie Hebdo et de l’HyperCacher, le FSPRT pourrait être une mine pour la recherche : il recense un peu plus de 20 000 personnes « engagées dans un processus de radicalisation » et « susceptibles de vouloir se rendre à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes ou de vouloir prendre part à des activités à caractère terroriste ». Chérif Chekatt, qui a tué cinq personnes en décembre à Strasbourg, ou Michaël Chiolo, qui a poignardé deux surveillants de la prison de Condé-sur-Sarthe en mars, y figuraient.
Et chaque personne fichée y est décrite par une multitude d’éléments, apportés par les acteurs de la prévention ou les services de renseignement. Plusieurs élus ont demandé à y avoir accès. Mais une trop large diffusion risquerait de « lui faire perdre de son efficacité comme outil de renseignement », soulignait un récent rapport parlementaire. Pour limiter les risques, seuls des chercheurs de l’Institut national des hautes études de sécurité et de justice, établissement sous autorité du Premier ministre, bénéficieront d’un accès au fichier, par ailleurs limité. Ils ne pourront ainsi pas consulter toutes les données, les fiches devant être anonymisées, et on ignore le pourcentage de données qui leur seront accessibles.
En haut de ses préoccupations, le gouvernement dit vouloir mieux comprendre la « porosité » entre délinquance et radicalisation. Une vision pourtant de plus en plus mise à mal par la recherche. « Les actes les plus sérieux sont perpétrés par ceux que l’on attendait le moins : jeunes issus de familles stables, pour la plupart inconnus des services sociaux, plutôt bons élèves et avec des parents actifs », souligne un rapport de sociologues remis au ministère de la Justice.
Des profils ?
Un autre rapport, rédigé pour la Mission de recherche droit et justice, souligne que « contrairement à une idée répandue, le passage par la délinquance n’est nullement un palier obligé » de la radicalisation. Les données du FSPRT pourront peut-être permettre d’étudier à plus grande échelle ce possible lien de causalité et bousculer certaines idées reçues. « Il y a probablement quelques petites régularités dans le profil de ceux qui sont le plus susceptibles d’entrer dans la violence, mais on ne peut pas parler d’un profil déterminé », prévient Thomas Lindemann, professeur de sciences politiques à l’université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
Dès 2016, la Miviludes écrivait que « la diversité des personnes signalées ne permet pas de dégager un ou des profils types ». « Si l’on regarde, ce sont des jeunes, de 18 à 31 ans, plutôt issus de quartiers un peu paumés, avec une certaine disponibilité biographique – sans engagement professionnel ou amoureux par exemple », mais cela ne suffit pas à en faire des menaces, précise Thomas Lindemann. « Il y a beaucoup de hasard », rappelle-t-il. « Et des éléments de liberté individuelle, ou, au dernier moment, l’appel d’un copain, d’une amie, un problème technique…. ».
« Mais au fond », ajoute-t-il, « on veut se rassurer, on veut se dire ‘il y a ces profils’, et on peut faire en sorte que les individus ne passent pas à l’acte ».
LQ/AFP