Au moins trois élections primaires auront lieu dans les prochains mois pour désigner des candidats à la présidentielle. Du jamais vu sous la Ve République. Mais si elles sont censées renouveler le débat démocratique, les primaires renforcent la guerre des chefs au risque de lasser un peu plus les électeurs.
A droite, c’est une première. A gauche, le PS a adopté dès 2006 le système des primaires. Et les écologistes d’EELV se plieront pour la première fois à l’exercice dans les semaines à venir.
Pour les deux principaux partis de gouvernement, c’est l’absence d’un leader naturel qui a conduit à réviser le mode de désignation des candidats. Face à un Front national conquérant, ni Les Républicains ni le Parti socialiste ne peuvent se permettre de candidatures dissidentes s’ils veulent accéder au second tour. Et la primaire est le moyen le plus sûr d’éviter la multiplication des candidatures internes.
«La primaire participe d’un moment de démocratisation, c’est une manière de se relégitimer pour les partis de gouvernement», analyse Matthieu Chaigne du site Délits d’Opinion. Signe d’un bouleversement des pratiques politiques, pas moins d’un ancien chef de l’État, Nicolas Sarkozy, et de deux ex-Premiers ministres, François Fillon et Alain Juppé, sont en lice à droite. A gauche, François Hollande, président sortant, doit faire savoir en décembre s’il est candidat à sa réélection et se soumet bien à la primaire du PS.
Un combat d’image
A droite, la primaire des 20 et 27 novembre pâtit selon les spécialistes de l’absence de réelles différences dans les programmes des candidats. Tant sur le plan économique, que sur la sécurité ou l’appartenance à l’Europe. «La droite française n’a pas l’habitude du débat d’idées et ce qui doit être a priori un grand débat démocratique se transforme en un combat d’image, sur des provocations, des attaques…», relève Jean Garrigues, spécialiste d’histoire politique, professeur à l’université d’Orléans.
Le cœur de l’électorat de droite est par ailleurs majoritairement assez âgé, conservateur sur les questions régaliennes – sécurité, justice -, libéral dans le domaine économique. «Il y a un risque de captation, qui fait que le candidat désigné par la droite sera le candidat des seniors qui représenteront plus de 50% du corps électoral», souligne Jean Garrigues. A gauche, note Matthieu Chaigne, il y a au contraire «une ligne de fracture assez marquée entre ceux qui acceptent l’économie de marché – Emmanuel Macron ou François Hollande – et des candidats qui revendiquent une reprise en main par l’État du système économique, comme Arnaud Montebourg et Benoît Hamon».
Peser pour l’après-présidentielle
La primaire est donc l’occasion pour les candidats de jouer «cartes sur table» et détailler leur programme. Mais pour nombre d’entre eux, il s’agit surtout de se positionner pour l’après-présidentielle.
A gauche, il faut occuper l’espace politique, marquer des points en vue de la recomposition qui se profile au lendemain de l’élection. Avec 5,6% des voix à la primaire socialiste en 2011, Manuel Valls s’était positionné pour Matignon. Avec 17,2%, Arnaud Montebourg est aujourd’hui un candidat de poids pour 2017. A droite, peser sur la primaire permet aussi d’être en capacité de négocier en vue du second tour.
Mais certains candidats refusent d’emblée le filtre des primaires. Jean-Luc Mélenchon y voit «la fin de la politique», chacun se rangeant selon lui «derrière ce que les journaux et les sondeurs lui disent être l’opinion moyenne et dominante». Et Emmanuel Macron, pas encore candidat, y voit «la preuve du faible leadership de chaque côté». Autre effet pervers pointé par les politologues, en rallongeant de trois ou quatre mois la campagne habituelle, la primaire démultiplie l’affrontement permanent et étale le spectacle des ambitions personnelles – «Pourquoi pas moi?» – déconnecté des préoccupations des Français.
Conséquence, selon un récent sondage Ifop, 75% d’entre eux considèrent que l’«on parle trop» de la primaire à droite et seuls 18% affirment qu’elle a «amélioré» l’image qu’ils ont de la politique, contre 82% d’un avis contraire.
Alors, quel avenir pour le système des primaires? Simple traduction de la faiblesse des partis ou durablement ancré dans le paysage français? «Ce qui est lancé ne s’arrêtera plus, pressent Jean Garrigues. Les avantages politiciens que la primaire procure, à savoir une tribune et une exposition d’un certain nombre de candidats, et la préoccupation de chacun des deux camps d’essayer d’arriver à une candidature unique pousseront à ce que le système continue dans l’ambiguïté qui est la sienne.»
Le Quotidien/afp