Jean-Philippe Caillet a raccroché les crampons cet été pour devenir manager général du FCD03. Avant cela, il est devenu un homme, un vrai, en parcourant le globe.
« Allô Jean-Philippe ? C’est Jean Fernandez. Je veux te voir demain. Tu t’entraînes avec nous. On veut te faire signer. Je sais que tu as une formation de défenseur central, mais ce que je veux, c’est un latéral droit qui ne monte pas et qui joue derrière notre recrue, Franck Ribéry. Tu auras deux choses à faire : défendre et donner le ballon à Ribéry. » Quand il reçoit ce coup de fil à l’été 2004, Jean-Philippe Caillet croit d’abord à une blague. Il est un honnête défenseur de Ligue 2, à Clermont-Ferrand, mais vient de passer six mois sans jouer, ce qui ne lui est d’ailleurs arrivé qu’une seule fois durant ses dix-sept ans de carrière. L’offre ne peut pas se refuser : parce que la Ligue 1, parce que sa Moselle natale, parce que son FC Metz chéri qui l’a formé mais ne l’a pas lancé chez les pros six ans plus tôt… «On me proposait un an de contrat avec comme concurrents directs Kastendeuch, Rigobert Song et Pascal Pierre, alors qu’à Caen, en L2, c’était quatre ans et une place de titulaire.»
À l’époque, les Grenats ne prennent aucun risque en proposant un come-back à Caillet, joueur de 27 ans au caractère déjà bien trempé et qui remplira sa mission de garde du corps de Kaiser Franck à merveille. «C’est moi qui le prenais en voiture pour aller à l’entraînement puisqu’il n’avait pas le permis de conduire ! Cela a duré six mois, puisque Franck est parti à la mi-saison au Galatasaray. Jusqu’en novembre, on était dans les trois premiers. Après son départ, on a un peu sombré.»
Un « salopard » qui parle bulgare
Caillet pourrait faire comme tout le monde le ferait à sa place : faire le beau, s’inventer une amitié avec Francky, mais non. «Oui, on faisait les trajets ensemble et il y avait une complicité, mais de là à aller au resto ou boire un coup avec lui, non. J’ai toujours fait la différence entre les collègues de travail et mes amis.» Pour tout dire, Jean-Phi’ ne donne pas son amitié facilement. «On m’a toujours dit qu’au premier abord, j’étais très froid», consent-il. Capitaine lors de sa fameuse saison au FC Metz, Stéphane Borbiconi, qui l’a connu dès le centre de formation, a appris à apprivoiser la bête : «S’il dégage cette première impression, c’est pour se protéger. Mais dès que tu le connais un peu, tu vois un mec attachant. Et dans un groupe, il sait se faire entendre. S’il considérait qu’un gars ne se donnait pas à fond à l’entraînement, il était capable de pousser son coup de gueule pour le bien de l’équipe.»
Pour la collectivité, Caillet a toujours accepté d’endosser le rôle de salopard, ce que le Luxembourg a compris dès son arrivée au F91 en 2010. Pour résumer, son boulot sur le terrain consiste autant à être un défenseur dur sur l’homme qu’à déstabiliser le camp d’en face à coups de mots bien choisis. «C’est un provocateur. Il aime bien chambrer, chatouiller l’entraîneur adverse, pleurer auprès de l’arbitre, balance Marc Oberweis, rival de la Jeunesse. Pour autant, je ne me suis jamais dit que c’était un con. Je suis bien placé pour savoir qu’on peut être quelqu’un sur un terrain et quelqu’un d’autre en dehors.»
Après avoir goûté à la Ligue 1 grâce à Jean Fernandez, Caillet, dont le contrat n’est pas renouvelé, ne se voit pas retourner en Ligue 2 et dit banco à une pige en Bulgarie, au Litex Lovech. Rester cloîtré dans son appartement et regarder l’argent tomber sur son compte ? Très peu pour Jean-Philippe, qui a toujours cherché à se rapprocher au plus près de la vie des autochtones. «Je ne suis pas ce style de footballeur frileux qui a besoin de son petit confort. Au bout de deux mois, j’ai demandé au traducteur de me lâcher, il fallait que je me débrouille tout seul. J’ai 200 mots de vocabulaire en bulgare. J’ai tout appris en phonétique», y compris les chiffres, qui lui sont «bien utiles» aujourd’hui dans son job d’agent immobilier au sein de la boîte de Fabrizio Bei, le président differdangeois.
« Over the top »
Ne lui demandez pas pourquoi, mais la première phrase que Caillet a appris est «ceci est une grande tragédie». Sa saison en Europe de l’Est n’en est pas une, puisque pour la première fois de son histoire, le Litex Lovech atteint les 16e de finale de l’Europa League. Autrement dit, un parcours suffisamment brillant pour atterrir à Genk (qu’il élimine en tour préliminaire), où, pendant trois ans, il se sert autant de «la personnalité des Flamands que de celle des Wallons» pour nourrir la sienne.
Partout où il passe, Caillet joue. Pourquoi ? «Tu connais Over the top ? Quand Sylvester Stallone met sa casquette à l’envers, il gagne tous ses bras de fer, c’est un autre homme. Bah moi, quand j’arrive sur le terrain, je tourne le bouton et je suis un guerrier. Je n’aurais pas fait cette carrière sans ce mental.»
O. K. Rambo, et ce passage en Chine, il était comment ? «Avec ma femme, on a failli tout plaquer pour s’y installer.» Car en voyant la trentaine d’années approcher, soit à un moment où un sportif professionnel a le droit de considérer qu’il est l’heure de mettre du beurre dans les épinards, Caillet décide de le faire en se servant d’une paire de baguettes. «Là-bas, j’ai goûté au scorpion. J’ai même mangé de la tortue. C’est comme une cuisse de poulet en fait. Et le serpent, bof, je n’ai pas trouvé ça terrible. Mais si tu ne veux pas décevoir le cuistot et tes coéquipiers, tu manges, c’est tout.»
Aujourd’hui, Jean-Philippe Caillet a 38 ans. Il est un mari amoureux et un père heureux. Il dit qu’il n’a «pas eu une grande carrière», mais qu’il est «fier» de ce qu’il a fait. Il ne le dit pas trop fort, mais un soir au Parc des Princes, il a mangé tout cru Pauleta. Un autre, il a blessé David Trézéguet dans un duel aérien lors d’un Monaco-Caen. Il a encore quelque part chez lui la photo où Trezegol grimace.
À croire qu’il était prédestiné à se faire tamponner le passeport, le grand blond avec des chaussures noires a goûté avec le F91, puis le FCD03, aux deux épopées européennes majeures de la récente histoire du foot luxembourgeois.
Matthieu Pécot