La France compte-t-elle vraiment une centaine de Molenbeek? En évoquant des «similitudes», Patrick Kanner a relancé les interrogations sur la ghettoïsation des quartiers populaires, dans la lignée de l’«apartheid» dénoncé il y a un an par Manuel Valls.
«Il y a aujourd’hui, on le sait, une centaine de quartiers en France qui présentent des similitudes potentielles avec ce qui s’est passé à Molenbeek», a affirmé dimanche le ministre de la Ville, en faisant allusion à la commune bruxelloise ayant acquis une réputation de fief jihadiste pour avoir abrité plusieurs auteurs des attentats de Paris et Bruxelles.
Les réactions n’ont pas tardé: constat «lucide» pour certains à droite, tandis qu’à gauche d’autres regrettaient des formules qui «stigmatisent». La polémique rappelle celle suscitée il y a un an par Manuel Valls, qui avait parlé d’un «apartheid territorial, social, ethnique» après les attentats de Paris en janvier 2015. Le Premier ministre a donné en partie raison à Patrick Kanner en estimant mardi que «les processus d’enfermement, de communautarisation et de radicalisation… tout cela existe bel et bien».
Pour François Pupponi, maire de Sarcelles, ces propos ont «le mérite de dire les choses telles qu’elles sont». Car «quand on analyse la situation de Molenbeek et la communautarisation notamment, on s’aperçoit qu’il y a des quartiers en France où il peut se passer la même chose. Ils tirent le signal d’alarme et disent: +soyons attentifs+», a-t-il affirmé sur RTL.
Sur quoi Patrick Kanner a-t-il fondé sa comparaison? Molenbeek, c’est «une concentration énorme de pauvreté et de chômage», «un système ultra-communautariste», «un système mafieux avec une économie souterraine», et où «les services publics ont disparu ou quasiment disparu».
De source policière, on assure avoir «plein de petites Molenbeeks» en France. «Ce ne sont pas exclusivement des banlieues mais plutôt des secteurs, où l’on constate l’influence importante des salafistes et des foyers de radicalisation. Pour les forces de l’ordre, la situation a plus tendance à leur échapper qu’à être sous contrôle», ajoute-t-on de même source.
« Raccourcis problématiques »
Le chiffre d’une centaine avancé par M. Kanner, s’il ne renvoie à aucune liste précise, correspond grosso modo aux quartiers les plus en souffrance en métropole, à l’intersection des 1.300 quartiers prioritaires de la politique de la Ville, des 80 Zones de sécurité prioritaires (ZSP), et du millier d’établissements classés Zone d’éducation prioritaire. Vendredi, le ministère de la Ville a rendu publique une liste de douze quartiers «très prioritaires» (à Marseille, Trappes, Vénissieux…), où des «délégués du gouvernement» seront envoyés à partir d’avril.
De fait, avec un chômage de 42% chez les moins de 25 ans, et un revenu moyen de 9.800 euros par habitant et par an, Molenbeek se rapproche des caractéristiques des Zones urbaines sensibles, où le taux de chômage des jeunes est de 45%. Mais attention aux «raccourcis problématiques», avertissent les chercheurs.
«Si on compare les caractéristiques sociales et socio-démographiques, on va trouver des quartiers en France qui ressemblent à Molenbeeek, du point de vue de la pauvreté, du taux de chômage, de la structure de la population», explique Antoine Jardin, du Centre d’études européennes de Sciences Po. Mais «cela ne veut pas dire qu’il y a un lien mécanique et simpliste entre pauvreté d’une part et développement des groupes proches de l’idéologie jihadiste d’autres part», ajoute-t-il.
De fait, les jihadistes français partis en Syrie ne venaient pas tous de banlieues HLM: Maxime Hauchard a grandi à Bosc-Roger-en-Roumois (Eure), David Drugeon à Vannes (Morbihan)… De plus «deux quartiers avec de mêmes indicateurs, à Vierzon et en Seine-saint-Denis par exemple, peuvent être totalement différents», souligne Renaud Epstein, maître de conférence à Nantes. Ainsi parler de Molenbeek en France contribue surtout «à la stigmatisation, à la mise à l’écart des quartiers», déplore-t-il. «Kanner a finalement renvoyé ce contre quoi la politique de la Ville lutte, c’est-à-dire la construction d’une représentation des quartiers populaires comme menace.»
Le Quotidien/AFP