Quatre ans après la révélation d’un retentissant scandale de pédophilie qui a secoué l’Église catholique en France, le cardinal Barbarin et cinq ex-responsables du diocèse de Lyon font face à la justice lundi pour non dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs.
Le tribunal doit déterminer si Philippe Barbarin, archevêque de Lyon depuis 2002 et ses coprévenus ont suffisamment agi en apprenant le passé pédophile d’un prêtre du diocèse, Bernard Preynat, auteur d’agressions sexuelles sur de jeunes scouts entre 1986 et la fin 1991. La justice française doit aborder lundi les questions de procédure avant de traiter le fond de l’affaire jusqu’à mercredi.
Entré dans la salle du tribunal sous les flashes de dizaines de photographes et cameramen, le cardinal, l’une des principales figures de l’Église catholique française, s’est assis et a semblé se recueillir quelques minutes, mains jointes, avant l’ouverture des débats. De nombreux envoyés de médias étrangers étaient présents pour couvrir le procès de ce cardinal âgé de 68 ans qui incarne en France la crise d’une Église confrontée partout aux déviances des uns et aux silences des autres.
Crise historique
Des enquêtes ou procès aux États-Unis, en Europe, au Chili ou en Australie ont plongé cette année l’institution dans une crise de crédibilité historique, alors que les victimes d’agressions sexuelles anciennes sont de plus en plus nombreuses à déposer des plaintes. Lundi, le pape François – qui soutient le cardinal Barbarin quand d’autres réclament sa démission – a déclaré lors de ses vœux au corps diplomatique que « le Saint-Siège et l’Église tout entière s’engagent à combattre et à prévenir de tels délits et leur dissimulation, pour établir la vérité des faits dans lesquels sont impliqués des ecclésiastiques et pour rendre justice aux mineurs qui ont subi des violences sexuelles ». Le pape François a convoqué au Vatican pour la fin février 2019 les présidents des conférences épiscopales du monde entier pour un sommet très attendu sur « la protection des mineurs ».
Dimanche, le cardinal Barbarin n’avait pas voulu se montrer aux traditionnels vœux du diocèse de Lyon, se contentant d’un courrier demandant « au seigneur que s’accomplisse le travail de la justice ». « Demandons lui aussi qu’il guérisse tout ce qui doit l’être, dans le cœur des victimes d’actes de pédophilie aussi injustes que terribles », avait encore écrit le prélat. Le scandale lyonnais a éclaté en 2015 avec la mise en cause du père Bernard Preynat pour des abus commis un quart de siècle plus tôt sur de jeunes scouts.
Estimant que, parce qu’il était au courant de ces agissements anciens, Mgr Barbarin aurait dû lui-même dénoncer le prêtre à la justice, des victimes ont aussi porté plainte contre lui. En 2016, après six mois d’enquête et dix heures d’interrogatoire du cardinal par la police française, le parquet de Lyon avait classé l’affaire sans suite.
« Vérité sur l’omerta »
Mais neuf plaignants ont lancé depuis une procédure de citation directe, qui permet en France à une victime de saisir directement le tribunal pénal. La non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs est un délit passible en France de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende à l’époque des faits présumés. A ce jour, deux évêques ont été condamnés en France dans des affaires similaires, l’évêque de Bayeux-Lisieux (nord-ouest de la France) en 2001 et l’ancien évêque d’Orléans (centre) en 2018.
« En trois ans, l’Église a bougé, le législateur a bougé, le sujet a pénétré tous les foyers de France, y compris au sein du monde catholique. Tout cela a été possible en partie grâce à ces recours. Donc la victoire, elle est déjà là », a estimé François Devaux, cofondateur de La Parole libérée, l’association à l’origine des révélations. « Nous on veut connaître la vérité sur l’omerta et l’institutionnalisation du silence. Savoir comment et pourquoi pendant 50 ans le père Preynat a pu abuser d’enfants », a affirmé lundi Alexandre Hezez, cofondateur de La Parole libérée.
La défense, de son côté, crie à l’acharnement et compte sur le procès pour « rétablir un certain nombre de vérités car on ne répare pas une injustice par une autre », prévient un avocat du cardinal, Me Jean-Félix Luciani. Au plus fort du scandale, Mgr Barbarin a reconnu des erreurs et demandé pardon aux victimes de prêtres. A l’approche du procès, il semble se défausser sur les consignes reçues du Vatican en 2015. « J’ai mis en œuvre ce qui m’avait été dit par Rome, après tout le monde est tombé sur moi », a-t-il déclaré en marge de la dernière assemblée des évêques à Lourdes.
LQ/AFP