C’est un euphémisme que de dire que le courant économique dominant n’est pas un modèle de vertu. Le Luxembourg tente donc d’être à la pointe d’un secteur en plein boom : l’économie sociale et solidaire.
Pour mieux comprendre ce concept abstrait pour le plus grand nombre, le ministre du Travail et de l’Emploi Nicolas Schmit a fait venir mardi au Trifolion celui qu’il n’hésite pas à qualifier de «pape de l’économie sociale et solidaire», Nicolas Hazard. Ce Français est considéré comme le golden boy d’un capitalisme plus «inclusif», qui promeut une économie collaborative, circulaire, connectée… Il est notamment le fondateur du Comptoir de l’innovation, qui accompagne près de 500 entreprises dans le monde, y compris au Luxembourg.
«On est dans une de ces périodes de l’histoire où on a plus besoin d’ESS, car elle s’est souvent renforcée dans les moments critiques», dit-il. Et de faire appel à l’histoire : «Durant le Moyen Âge, l’ESS c’était par exemple les fruitières de fromagers, les premières coopératives agricoles créées dans le Jura suisse et français, par des gens qui n’arrivaient plus à vivre de leur travail et qui ont donc mutualisé leurs efforts.»
La seconde vague viendra au XIXe siècle, avec l’industrialisation et son cortège de nouveaux précaires nés de la société ouvrière et patronale. «Ainsi sont nées les coopératives industrielles, les mutuelles, les associations.» Un mouvement qui est ensuite retombé durant les guerres mondiales et les Trente Glorieuses où la croissance semblait illimitée. «Mais dans les années 80 apparaît un capitalisme plus financiarisé, qui creuse les inégalités, aggrave les problèmes environnementaux… On voit depuis que l’ESS revient.»
Et le Luxembourg essaie de tirer son épingle du jeu, poursuit-il : «Le Luxembourg est un des premiers pays où on a pu développer des projets. Et j’ai vu le travail fascinant qui a été fait au Luxembourg pour porter ce secteur, notamment sur la scène européenne. Mais on peut faire encore mieux.» Nicolas Schmit cite notamment l’Union luxembourgeoise de l’économie sociale et solidaire (Uless), en plein essor. Ou encore le fait qu’en 2010 «on a créé un incubateur à Differdange où déjà 20 entreprises se sont constituées sous cette forme». Bref, l’ESS «fait partie intégrante de l’économie luxembourgeoise. Il nous faut une politique qui permette de nouvelles initiatives pour ceux qui veulent créer des entreprises sous le label social et solidaire.»
Par les jeunes et avec la Grande Région
Difficile néanmoins de quantifier la part exacte de l’ESS au Luxembourg. Serge Allegrezza, du Statec évoque une estimation de 40 000 personnes qui œuvreraient dans des secteurs de l’ESS comme l’environnement, la santé, l’aide à la personne, le social… Ce qui est sûr, c’est que «c’est un secteur en pleine croissance».
Comment le pérenniser et le développer ? D’abord, en comprenant que c’est un mouvement «porté par la jeunesse», constate Nicolas Hazard. «Car les jeunes ont envie de montrer qu’ils sont utiles pour la collectivité. Et ils sont moins égoïstes qu’on ne le pense, peut-être moins que certaines autres générations, car ils ont le sentiment du collectif, et d’une urgence.»
Il liste ensuite les principales tendances de ce phénomène : «C’est un mouvement mondial, donc c’est bien que le Luxembourg ait envie de préempter ce secteur très porteur.» Il prononce ensuite un mot hybride : «glocal». «C’est-à-dire que plus on est dans le global, avec la mondialisation, plus on a besoin de se reconnecter au local. Car les initiatives ne viendront pas d’en haut. Ce n’est pas en haut qu’on inventera une nouvelle façon de faire de l’agriculture, de l’énergie, de faire des entreprises d’insertion… Ça, ça viendra du terrain.»
Il plaide aussi pour que le Luxembourg pense Grande Région. «Si vous voulez, par exemple, créer un fonds d’investissement pour l’ESS, le Luxembourg est peut-être un peu trop petit. Par contre si vous vous associez avec vos voisins, peut-être qu’il y a des grands ensembles à créer.»
Romain Van Dyck