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Né d’un viol pendant la guerre, un jeune Bosnien recherche ses parents biologiques


Alen Muhic, abandonné par sa mère, une musulmane violée par un militaire serbe pendant la guerre intercommunautaire en Bosnie (1992-95), s’est lancé vingt-deux ans plus tard dans un douloureux parcours du combattant à la recherche de ses parents biologiques.

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Alen Muhic le 27 mars 2015 à Gorazde. (Photo : AFP)

Il est le héros d’un émouvant film réalisé pour briser le tabou sur ces « enfants invisibles » des conflits. « Je veux tout simplement apprendre la vérité, découvrir qui ils sont, pourquoi elle m’a abandonné et pourquoi, lui, il a fait ce qu’il a fait. Parce que son acte est un crime de guerre », explique Alen, quelques jours après la première en Bosnie du documentaire-fiction « Piège de l’enfant invisible ».

Ce jeune homme costaud aux yeux verts, infirmier dans un hôpital de Gorazde (est), le même où il est né il y a 22 ans, dans cette même ville où il a été adopté par une famille musulmane, est le premier enfant né suite à un viol pendant le conflit à avoir eu le courage de raconter publiquement son histoire. Ce film réalisé par le Bosnien Semsudin Gegic, montre la déchirure et le drame d’Alen sur la route de la recherche de ses origines. Le film se penche sur sa « double identité, génétique et adoptive », explique le cinéaste.

« Ces enfants sont désignés comme +invisibles+. J’ai décidé de faire un film dans lequel Alen devient visible », dit le réalisateur, ajoutant qu’Alen est « un des milliers d’enfants conçus par la violence sexuelle dans les conflits à travers le monde ». Plus de 20 000 femmes, essentiellement musulmanes, ont été violées pendant la guerre de Bosnie, un conflit qui a fait 100.000 morts et où au moins une soixantaine d’enfants sont nés suite à ces crimes. La plupart ont été abandonnés par leurs mères.

Au début du conflit, la mère d’Alen, la trentaine à l’époque, est violée à Miljevina (est). Expulsée de son village par les forces serbes après les faits, elle refuse de voir le bébé dont elle a accouché en 1993. Par la suite, elle s’est réfugié aux États-Unis où elle a fondé une famille et est mère de deux autres enfants, selon M. Gegic. Son identité n’est pas dévoilée parce qu’elle était témoin protégé dans le procès pour crimes de guerre contre son bourreau, le père biologique de son fils.

Alen a sept mois lorsqu’il est adopté par le concierge de l’hôpital de Gorazde, Muharem Muhic, et son épouse Advija, qui ont déjà deux filles. « J’ai été adopté par une famille magnifique. Ils m’ont élevé comme si j’étais leur propre enfant et m’ont donné tout leur amour », raconte-t-il.

> Alen a pardonné à sa mère, mais pas à son père

Lorsqu’il a dix ans, lors d’une bagarre à l’école, un enfant lui lance pour se venger ce que tout le monde savait, mais que Alen ignorait: Muharem et Advija ne sont pas ses parents biologiques. Ce fut son premier drame. « Ils m’ont alors raconté la vérité. J’étais fâché, mais je sais maintenant qu’ils voulaient me protéger », explique-t-il. Dans une société déchirée par la haine entre ses trois communautés (musulmane, serbe et croate) qui se sont fait la guerre, nombreux désapprouvaient l’adoption d’un tel enfant.

« ‘Il a du sang serbe’, disait-on à mes parents, ‘une fois grandi il va vous égorger’. J’ai participé au film pour prouver le contraire », explique Alen. Pourtant, il ne parvient pas à rencontrer ses parents biologiques. Son père l’a évité. « Sa mère, toutefois, a fait un premier geste après la sortie du film et a souhaité une rencontre avec Alen, y compris devant la caméra », assure le réalisateur. Alen, initialement furieux à cause de la décision de sa mère de l’abandonner, a depuis changé d’opinion.

« Ce n’est pas de sa faute. Peut-être qu’elle ne pouvait pas supporter une telle douleur. C’était un grand traumatisme pour elle, un choc », lâche-t-il, et d’ajouter: « Je lui ai pardonné ». En revanche, il n’a pas de pitié pour son père biologique, Radmilo Vukovic. « Personne ne l’a poussé à faire ça. Il ne peut pas être innocenté », dit-il. Radmilo Vukovic, 62 ans, avait été condamné en 2007 par un tribunal pour les crimes de guerre de Sarajevo à cinq ans et demi de prison. Mais il a été acquitté dans un procès en appel en 2008 à cause de déclarations « contradictoires » des témoins.

Des tests ADN réalisés durant le procès ont pourtant prouvé qu’il était bien le père biologique d’Alen.

AFP