Pour la première fois, la justice civile a commencé jeudi à étudier la responsabilité des laboratoires Servier au regard de la «défectuosité» du Mediator, médicament coupe-faim synonyme d’un des plus grands scandales sanitaires français.
La 2e chambre du tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre (Hauts-de-Seine) examine les demandes de deux patients de 67 et 72 ans réclamant respectivement à Servier 125 000 et 900 000 euros en réparation de leur préjudice, les séquelles d’une valvulopathie : traitement à vie, essoufflement, impossibilité de tondre sa pelouse… Plus de quatre ans après le début de son combat judiciaire, la colère de Michel Due est «intacte». «Ça m’a détruit», a déclaré, ému, le septuagénaire avant l’audience.
Utilisé par cinq millions de personnes, le Mediator, retiré du marché français en novembre 2009, est à l’origine de graves lésions des valves cardiaques et pourrait être responsable à long terme de 2 100 décès, selon une expertise judiciaire.
Plus de sept ans après les révélations du docteur Irène Frachon, aucune victime présumée du Mediator n’a été indemnisée de manière définitive par voie de justice, des lenteurs régulièrement dénoncées par les victimes et la pneumologue de Brest. Le Dr Frachon, qui va inspirer prochainement un film, accuse Servier de «cynisme» face aux demandes d’indemnisation.
Défectuosité du produit, réalité de la pathologie et lien de causalité: c’est la triple question que doivent trancher les juges spécialisés de Nanterre lors de ce procès très attendu qui pourrait faire jurisprudence dans les autres dossiers. Les débats – techniques – portent notamment sur les connaissances du risque du Mediator quand il a été prescrit aux demandeurs, entre 2003 à 2009 pour l’un, entre 2004 et 2009 pour l’autre.
Dans leur arsenal de défense, Me Martine Verdier et Charles Joseph-Oudin, avocats en pointe dans la défense des victimes du Mediator, s’appuient notamment sur un rapport accablant de l’Inspection générale des affaires sociales de janvier 2011 qui conclut que le produit aurait dû être retiré dès 1999.
L’État condamné
La cour administrative d’appel de Paris a confirmé en août 2015 le principe de la responsabilité de l’État envers une victime du Mediator, jugeant qu’une décision de retrait du marché du médicament des laboratoires Servier aurait dû intervenir «au plus tard» le 7 juillet 1999, date d’une réunion de la «commission nationale de pharmacovigilance où a été évoquée la situation du benfluorex», le principe actif du Mediator.
Me Martine Verdier va plus loin: dès 1993 et son étude interne «jamais publiée», «Servier sait» que le benfluorex contient de la norfenfluramine, qui déclenche les effets indésirables. «A cette date, les laboratoires ne pouvaient plus ignorer qu’il y avait une balance bénéfices-risques défavorable à laisser le médicament sur le marché».
Mais les laboratoires font valoir l’exonération de leur responsabilité, soulignant «l’absence de signal d’alerte de pharmacovigilance» avant 2009, selon Me Nathalie Carrère.
Le Mediator a été prescrit pendant plus de 30 ans, d’abord contre l’excès de graisses dans le sang, puis comme traitement adjuvant pour les diabétiques en surpoids.
Le scandale sanitaire est au cœur de plusieurs procédures judiciaires civiles, pénales et administratives. Au pénal, il fait l’objet de deux procédures distinctes, à Paris et à Nanterre, mais aucun procès n’est encore prévu, au grand dam des victimes, qui dénoncent la lenteur des recours.
«Les indemnisations se font et continueront de se faire», a martelé Me Nathalie Carrère, en réponse aux accusations lancées fin août par 30 personnalités du monde médical dans un manifeste dénonçant la «guérilla judiciaire» des laboratoires pour retarder les procédures et les indemnisations.
Le TGI mettra sa décision en délibéré.
AFP/M.R.