Avant la place financière, avant la sidérurgie, il y a eu la rose. La rose Made in Luxembourg ! Une grande histoire d’amour, hélas fanée. Mais des mains vertes tentent de faire renaître le pays des roses.
Qui se souvient des immenses serres où des millions de fleurs attendaient de rejoindre les jardins des rois? De ces champs multicolores et parfumés ? Qui se souvient du pays des roses ?
Peu de personnes, hélas. Car le béton a remplacé la rose. «C’est irrécupérable, on ne fera plus machine arrière, à moins de détruire des immeubles. Ou de recommencer, dans les jardins, les parcs, et autour de la ville…», sourit Claudine Als.
Car la présidente de l’ASBL Patrimoine roses pour le Luxembourg a une idée derrière la tête. D’ailleurs, elle nous donne rendez-vous à Luxembourg, place des Martyrs… qu’on appelle aussi Rousegäertchen («jardin des roses»), un lieu hautement symbolique, où elle nous narre une histoire qui débute au milieu du XIXe siècle.
Les protagonistes s’appellent Jean Soupert et Pierre Notting. Les deux Luxembourgeois «avaient beaucoup appris auprès de rosiéristes à Lyon, qui reste un centre mondial de la création de roses. Ils étaient amis, puis ils sont devenus partenaires professionnels. En 1855, ils lancent l’entreprise Soupert & Notting», explique-t-elle.
Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître : leurs premières roses, «Tour de Malakoff» et «La Noblesse» (1856) puis «Duc de Constantine» (1857), deviennent des best-sellers internationaux. Bientôt, d’autres maisons, telles que Ketten ou Gemen & Bourg s’ajoutent au paysage, la production prend de l’ampleur. «La majorité des roseraies étaient installées au Limperstberg, mais il y en avait aussi à Beggen, Dommeldange, Walferdange et Strassen. Il y en avait aussi un peu à Ettelbruck et à Mersch.»
Au début du XXe siècle, le Luxembourg se couvre de champs et de serres sur près de 100 hectares. Il est le champion du monde de création et d’exportation de roses : plus de 6 millions de rosiers par an, qui s’en vont fleurir notamment les parcs princiers, royaux et présidentiels du monde entier. Au total, plus de 360 espèces de roses Made in Luxembourg seront créées en un siècle.
Puis vint la chute. «Le Luxembourg faisait partie de l’union douanière allemande. Or on n’achète pas chez l’ennemi. Donc dès que la Première Guerre mondiale a éclaté, il y a eu un embargo sur les roses luxembourgeoises.» Le marché français représentant alors 75 % du chiffre d’affaires des rosiéristes, l’effondrement est brutal. Par la suite, les rosiéristes doivent affronter la récession, le protectionnisme économique des années 20, ainsi que le phylloxéra, un champignon qui décime les rosiers.
En 1939, les roses n’occupent plus que 10 hectares. Et la Seconde Guerre mondiale termine ce que la Première avait commencé. La pépinière Soupert & Notting cesse son activité en 1942. Happés eux aussi par la vague migratoire, les rosiéristes luxembourgeois s’en vont exercer leur talent aux États-Unis, ce qui n’arrange pas la production grand-ducale… Le pays des roses se fane.
«Si je vous ai donné rendez-vous ici, c’est que ce jardin était une tentative désespérée de l’État de venir en aide aux rosiéristes. Il a été créé à la fin des années 20, afin de racheter une partie de la production des rosiéristes.» Une subvention qui sonne comme le chant du cygne.
Après la place financière, les roses ?
Que reste-t-il de ce patrimoine ? Des noms de rue, divers bâtiments historiques, comme la maison Bourg-Gemmen au Limperstberg, un Conservatoire du patrimoine rosier du Luxembourg (un jardin privé qui abrite plus d’une centaine d’espèces de roses)… Et des noms prestigieux de roses bien sûr. Mais dans les mémoires ? «Pas grand-chose. Le jardinage des roses n’est plus un savoir populaire. Surtout qu’aujourd’hui, il y a cette horrible tendance à mettre du béton ou des pierres dans les jardins.»
Les roses en vase que l’on trouve chez le fleuriste, elles, ne sont plus luxembourgeoises mais très souvent africaines, où le soleil est abondant, et la main-d’œuvre bon marché.
Mais la flamme n’est pas morte. «Il existe depuis 1980 l’association Les Amis de la rose, dont je fais partie, et qui a porté le flambeau, en baptisant une vingtaine de roses en 30 ans.» En 2013, la rose «Bonjour Luxembourg», fruit de dix ans de recherches par un rosiériste français, est ainsi venue célébrer le 1 050e anniversaire de la ville de Luxembourg.
Et depuis deux ans, existe donc l’ASBL Patrimoine roses pour le Luxembourg, qui réalise un travail précieux de sensibilisation et de promotion. «On fait de nombreuses activités avec le grand public : des conférences, des cours de taille de rosiers, des marchés, des dîners…» L’ASBL a inauguré en juin dernier le jardin des roses de Walferdange, un écrin où des variétés anciennes côtoient des créations comme la rose «Walferdange».
Par ailleurs, un grand projet est en cours : la création en 2016 d’un jardin de roses au Limperstberg, autour du château d’eau. Un monument parfumé à la mémoire d’un temps révolu ? «On ne veut pas perdre cette biodiversité, ce patrimoine vivant. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour! Peut-être qu’un jour, on viendra au Luxembourg non plus seulement pour la place financière, mais aussi pour ses roses. Pour la carte postale du pays, ce serait pas mal, des champs de roses, non ?»
Romain Van Dyck
Le phylloxéra n’attaque pas les rosiers. Cet insecte est un ennemi de la vigne.