« Mes chambres d’hôtes me permettent de vendre 1 500 bouteilles sans bouger de chez moi ! » : Nadine David, viticultrice près d’Epernay, devait rembourser ses emprunts bancaires. Depuis huit ans, l’oenotourisme lui procure un sérieux complément de revenu.
Les vignobles sculptent les paysages de l’Hexagone depuis 2000 ans. Et la France affiche une fréquentation touristique record avec 89 millions de visiteurs étrangers l’an passé. Mais le pays, à l’image de cette viticultrice, s’est rendu compte tardivement du formidable potentiel du tourisme du vin. « Depuis huit ans, j’ai transformé les dortoirs des vendangeurs en trois chambres d’hôtes », raconte Nadine David, 55 ans, qui exploite 4,7 hectares du précieux vignoble de champagne avec son mari et ses deux fils. Ses résidents, surtout belges, « mais aussi allemands, italiens et parfois français », repartent avec le maximum de bouteilles autorisé dans leur coffre de voiture : 60 litres de bulles blondes. Soit sur un an, 10% de la production de l’exploitation, ainsi « exportée ».
L’esprit vigneron d’abord
Pour Michel Bernard, président du « Cluster oenotourisme » d’Atout France, créé en 2000 sous la houlette du Quai d’Orsay, « les clients de l’oenotourisme à la française veulent surtout partager l’expérience vigneronne, l’art de vivre, et rencontrer le vrai vigneron ». « En cela, il est très différent des grandes bodegas espagnoles, ou des wineries australiennes ou américaines, qui sont des magasins de vente avec des salariés compétents en oeonologie ».
« En France, la Bourgogne et l’Alsace et leurs coquets villages sont les régions qui ont historiquement le plus tôt développé le concept avec un esprit vigneron », souligne Michel Bernard. « Mais les régions plus riches comme Bordeaux, où il était impensable il y a encore 10 ans de frapper à la porte d’un grand château, s’y sont mises ». La preuve : « nous avons atteint avec beaucoup d’avance, en 2016, l’objectif de fréquentation que nous nous étions initialement fixé pour 2020 », remarque Michel Bernard.
De sept millions en 2009, le nombre de touristes du vin est passé à 10 millions en 2016, pour une dépense globale de 5,2 milliards d’euros, selon Atout France. Le professionnalisme se développe. De complément de revenu, l’oenotourisme devient parfois un métier à part entière. A Cognac, de grandes maisons organisent des visites de dégustation tarifiées entre 20 et 500 euros, incluant soirée de gala et bouteille offerte. Dans le Bordelais, la nouvelle « Cité du vin » attire les foules. La 20e édition de la fête du vin se tiendra en juin, centrée autour de la dégustation. Sur 7 000 exploitations viticoles en Gironde, « 7 à 800 » châteaux sont organisés pour l’oenotourisme, indique le maire-adjoint de Bordeaux, Stephan Delaux, qui estime à 2 000 le nombre de chambres disponibles dans le vignoble, et à une vingtaine le nombre de sociétés « qui organisent des wine tours ».
Business florissant
Château Smith Haut Lafitte a ouvert un hôtel cinq étoiles dans les vignes, lié à un spa vinothérapie qui propose des gommages à base de raisins écrasés ou des bains à la vigne rouge. Un modèle en train d’être dupliqué autour du champagne, près de Reims, par la famille américaine Dupré. En Provence, Mark Dixon, propriétaire britannique de quatre domaines de Rosé de Provence, a triplé la part de l’oenotourisme dans son chiffre d’affaires, « à 6 millions d’euros » autour d’un restaurant étoilé et d’une ferme bio, indique Sébastien Latz, directeur-général. Un salon « destination vignoble » rassemble tous les deux ans une centaine d’agents de voyage et tour operators étrangers, pour tester in situ l’offre française. Cette année, à Bordeaux.
Restent quelques freins psychologiques à vaincre. D’abord : parler anglais. « A l’exception des très grands domaines, les viticulteurs ne parlent pas suffisamment anglais » selon Michel Bernard, dont l’organisme finance des formations.
Ensuite, affronter clairement deux grands tabous : l’impact de l’alcool sur la santé, et celui des pesticides. Le collectif Info Médoc Pesticides et l’association « Eva pour la vie » ont détecté en septembre entre 11 et 21 pesticides dans une dizaine de logements du Médoc viticole. L’évolution des pratiques agricoles raisonnées pourrait permettre de résoudre le problème. Quant aux dangers de l’alcool, récemment rappelé par la ministre de la Santé, l’oenotourisme peut être la « meilleure réponse » estime Michel Bernard. « C’est dans les régions viticoles qu’il y a le moins d’alcoolisme, car le vin y est d’abord une culture et un art de vivre. La cuite, c’est une honte chez nous ».
Le Quotidien/AFP