La hausse de la TVA et son impactnégatif sur le pouvoir d’achat continuent de préoccuper l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC) et son président, Nico Hoffmann.
Comment l’ULC aborde-t-elle cette année 2015 ? Quelles sont les perspectives pour les consommateurs ?
Nico Hoffmann : Il faut se demander si 2015 sera une bonne année pour les consommateurs. Si l’on regarde tout ce qui est prévu au niveau des augmentations de la TVA et des autres taxes, il est évident que le pouvoir d’achat va être fortement réduit. Vu que, pour l’ULC, une des priorités principales reste le maintien du pouvoir d’achat, nous nous faisons beaucoup de soucis.
Cela fait maintenant un an que le nouveau gouvernement est au pouvoir. Pour la première fois, un ministère est en charge de la protection des consommateurs. Quel bilan tirez-vous de ces douze premiers mois et quelles sont vos relations avec votre ministre de tutelle, Fernand Etgen ?
Dès le début, on a cherché le contact avec le nouveau gouvernement et notre ministre de tutelle. Il existe également une convention que l’on a signée avec le ministère. Même si je comprends que la nouvelle équipe a d’abord dû trouver ses marques, des mesures concrètes concernant la protection des consommateurs font encore défaut. On espère que cela va changer. Pour l’instant, on a l’impression que malgré la création du nouveau ministère, la protection des consommateurs n’est pas encore une priorité pour le gouvernement. On souhaite une plus grande volonté pour mener un dialogue constructif.
Quels sont les points à améliorer ?
Je reviens sur la convention qui nous lie au ministère. Encore sous l’ancien gouvernement, nos dotations ont été réduites de 66 000 euros. On est ainsi revenus au niveau de 1998. Nos recettes dépendent à 76 % des cotisations de nos membres et à 24 % des subventions étatiques. Malgré les problèmes budgétaires de l’État, on souhaiterait entamer des discussions avec notre ministre de tutelle pour revoir notre enveloppe à la hausse. Si je vois les importantes sommes dont le commerce a bénéficié par le passé pour faire du Luxembourg le centre commercial principal de la Grande Région, il existe un important déséquilibre dans la politique de subventionnement concernant la protection des consommateurs.
Parmi les nouveautés les plus marquantes de cette année 2015 figure la hausse de la TVA. Dès le début, l’ULC a milité contre cette augmentation. Pourquoi êtes-vous opposés à cette mesure ?
Il s’agit d’un mauvais signal. Le gouvernement emprunte le mauvais chemin car cette hausse de la TVA est contre-productive, inéquitable et antisociale. Aussi bien les bénéficiaires du salaire social minimum que les gens bien mieux lotis doivent supporter la même charge. On a une nouvelle fois eu recours à une solution de facilité qui, en fin de compte, touche plus lourdement les familles avec des plus petits revenus que ceux qui ont des épaules plus larges.
Quelle aurait été pour vous la solution alternative ?
Il est évident que chacun doit apporter sa pierre à l’édifice pour rééquilibrer les finances publiques. Or, nous, on aurait préféré que le gouvernement génère de nouvelles recettes en passant par les impôts directs, justement pour mettre aussi à charge ceux qui ont les épaules plus larges. Je pense notamment à une hausse des taxes pour les entreprises, qui se portent généralement bien. On voit d’un mauvais œil la décision de ne pas augmenter ces taxes pendant la législature en cours. Nous sommes d’avis, que les entreprises ont aussi à assumer leur responsabilité sociale. Avec le nouvel impôt de 0,5 %, ce sont à nouveau les ménages qui doivent assumer seuls une hausse des taxes alors que, depuis 1994, les entreprises ne sont plus mises à contribution pour financer les allocations familiales.
Fin novembre, les syndicats ont réussi à amortir l’impact du paquet d’avenir du gouvernement avec notamment la hausse de 0,1 % du salaire social minimum. Comment évaluez-vous cet accord ?
Il ne faut pas crier victoire. Les syndicats eux-mêmes n’étaient d’ailleurs pas très enthousiastes, mais un consensus a dû être trouvé. Sur différents points, il y a certes des avancées mais au niveau de la hausse de la TVA, rien n’a vraiment bougé, même si une mesure transitoire a été décidée avec une hausse de la TVA sur les résidences secondaires. Mais en fin de compte, cette hausse interviendra et impactera les ménages à bas et moyens revenus.
Vous l’avez déjà mentionné : le pouvoir d’achat risque d’être fortement impacté par les hausses décidées. Quels sont vos craintes liées à cette évolution ?
Si le pouvoir d’achat diminue, les consommateurs vont automatiquement aller acheter leurs produits là où les prix sont les moins élevés. Souvent, ils s’orientent vers nos pays voisins. Une étude publiée l’été dernier a démontré que par rapport au Luxembourg les prix sont déjà 2% moins chers en Allemagne. Quoi qu’en disent certains spécialistes, la hausse de la TVA aura bien un impact négatif sur le pouvoir d’achat.
Il reste à voir dans quelle mesure les commerçants vont répercuter cette hausse sur leurs prix et donc sur les consommateurs. Je suis sûr qu’on assistera à une augmentation progressive des prix et on risque de se retrouver le bec dans l’eau si les consommateurs se tournent vers la Grande Région. Il faut s’assurer que le Grand-Duché reste compétitif et que le pouvoir d’achat existant continue à être utilisé pour consommer au Luxembourg.
Dans ce contexte, vous avez revendiqué que l’Observatoire de la formation des prix assume mieux ses responsabilités. Où est-ce que le bât blesse ?
On constate déjà maintenant que les prix sur les produits de première nécessité, où le taux de TVA super-réduit de 3 % a été maintenu, commencent à augmenter en cachette. C’est précisément dans ce cas de figure que l’Observatoire de la formation des prix doit mieux jouer son rôle. En 2014, seules deux réunions sur les quatre prévues par le règlement ont eu lieu. Depuis septembre, l’Observatoire ne s’est plus réuni, alors qu’on aurait eu besoin, avant mais aussi après la hausse de la TVA, d’un contrôle plus strict de l’évolution des prix pour éviter des dérapages. Le fonctionnement de l’Observatoire doit devenir plus efficace, même si le patronat ne semble pas très favorable à cela. Leur priorité reste la désindexation de l’économie. La discussion sur les marges bénéficiaires reste un tabou.
En été, le gouvernement a décidé de lever les modulations de l’indexation des salaires et pensions. Ce retour au système intégral est certainement une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat des consommateurs…
Cette décision est certes positive, mais il faut apporter plusieurs nuances. Tout d’abord, avec l’inflation très basse, la prochaine tranche indiciaire risque de ne pas être versée avant le troisième trimestre de cette année. Les hausses de la TVA et des autres taxes vont avoir, selon les derniers calculs, un effet sur l’inflation qui sera de l’ordre de 1 %. Si pour l’instant, on est contents du retour au système d’indexation intégral, il ne faut pas oublier que le gouvernement compte revoir les choses si l’inflation devient à nouveau plus galopante et si plus d’une tranche indiciaire devra être versée par an. Ce scénario me semble toutefois encore assez éloigné.
L’indexation garde donc aussi, en 2015, toute sa raison d’être ?
L’indexation reste à ce jour pour des dizaines de milliers de ménages la seule compensation pour la hausse des prix. Il ne faut pas perdre des yeux qu’à côté de la TVA, bon nombre d’autres tarifs et prix vont augmenter. L’indexation contribue à maintenir le pouvoir d’achat des classes moyennes, qui ont toujours constitué une des forces du Luxembourg. Le danger est grand que l’écart entre riches et pauvres continue à s’agrandir. Les 18 % de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ne sont pas à négliger.
> Un autre grand dossier sur lequel vous travaillez activement est le logement. Quel état des lieux dressez-vous de la situation actuelle sur le marché ?
Il s’agit certainement d’une situation qui doit être résolue d’urgence. La ministre du Logement a annoncé un programme ambitieux pour construire 10 000 nouveaux logements. Il reste à concrétiser ces annonces, car le match contre la spéculation des terrains et les prix galopants sur le marché du logement est encore loin d’être gagné. Au mois de mars, on va organiser une conférence avec Maggy Nagel pour refaire le point. On reste d’avis que la hausse de 3 à 17 % de la TVA sur les résidences secondaires est un non-sens. On redoute que les locataires avec des petits et moyens revenus ne soient à nouveau ceux qui payent la note, car cette hausse de la TVA va provoquer une hausse des loyers. On serait contents de voir le gouvernement revenir sur cette décision.
Quelle est pour vous la priorité pour revenir à un marché du logement mieux équilibré ?
Une revendication de longue date de l’ULC est la hausse des investissements dans les logements sociaux et des logements à prix abordables. L’offre doit être massivement augmentée. Des projets sont déjà en cours, notamment en ce qui concerne les logements pour étudiants, or il reste beaucoup à faire. Il ne faut pas oublier que, chaque année, 10 000 nouvelles personnes viennent habiter au Luxembourg. On a besoin de logements locatifs à prix abordables. Dans ce contexte, je ne peux que répéter que la hausse de la TVA sur les logements secondaires n’est pas une bonne mesure car elle va engendrer une nouvelle hausse des loyers alors que des sommes astronomiques sont déjà à verser.
L’accord de libre-échange que prépare l’UE avec les États-Unis inquiète également l’ULC. Quelles sont vos craintes par rapport aux négociations en cours ?
La protection des consommateurs est clairement remise en cause. Des standards de qualité durement négociés pendant des décennies au niveau européen risquent d’être remis en question. Le futur tribunal d’arbitrage, prévu par l’accord, ne saura pas jouer un rôle indépendant. On ne veut pas de cet instrument car on craint que les intérêts économiques ne prennent rapidement le dessus sur les décisions politiques. La politique doit garder sa souveraineté.
Les fêtes de fin d’année, suivies des soldes d’hiver, représentent une période de très forte consommation. Les services de l’ULC sont-ils plus sollicités à ce moment-là ?
Il faut savoir que la moitié des litiges que nous traitons concernent la construction et le logement. Mais il est vrai qu’après les fêtes de fin d’année, on enregistre une hausse des réclamations concernant notamment les refus d’échange de cadeaux. D’une manière plus générale, l’information des consommateurs et la défense de leurs intérêts reste notre priorité majeure.
Pour conclure, quels sont vos vœux pour 2015 ?
Comme déjà évoqué, l’ULC souhaite rester un interlocuteur privilégié du gouvernement. Notre expérience peut servir dans de nombreux domaines comme par exemple dans le cadre de la réforme de la règlementation sur le bail à loyer. On continue de plaider pour un dialogue constructif, marqué par un esprit solidaire. Mais certains dossiers ont tendance à trop traîner. La transposition de la directive européenne sur les actions de groupe en justice bat ainsi de l’aile. Il en va de même pour la directive sur la médiation.
Entretien avec David Marques