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Marco Hirsch : « Nous craignons de perdre notre façon de faire »


Le docteur Marco Hirsch est rhumatologue à la clinique Sainte-Thérèse, plus connue sous le nom de ZithaKlinik. Alors qu’elle est en pleine fusion avec les hôpitaux Robert-Schuman, il évoque ses craintes.

Comment vit-on, lorsque l’on est médecin, la fusion entre la ZithaKlinik et les hôpitaux Robert-Schuman du Kirchberg ?

Marco Hirsch : Mal. Chaque médecin est une microentreprise qui embauche du personnel et s’équipe en matériel. Nous sommes 250 médecins aux cliniques Zitha, Kirchberg, Bohler et Sainte-Marie, vu que ce sont ces quatre entités qui fusionnent. C’est tout simplement une gestion de toutes ces microentreprises qui nous tombe dessus ! Si la fusion est bien préparée, c’est très bien, car nous regroupons des moyens et c’est encore mieux si nous avons un seul site où nous pouvons reconstruire de nouveaux services.

Mais dans notre cas, le monosite n’est pas réalisable actuellement. Nous ne savons pas très bien qui va aller où et nous nous retrouvons dans une nébuleuse en ce qui concerne cette répartition des services. Il y a bien des ébauches de plan, mais rien de définitif, puisque les discussions internes de la direction sont malheureusement contradictoires.

Les médecins ne sont-ils pas étroitement associés aux discussions ?

C’est là que le bât blesse. Nous avons vécu à la Zitha une gestion participative. Les médecins ont été associés de manière très concrète aussi bien dans la gestion de la maison que dans le recrutement des médecins et toutes les discussions autour de la répartition des services. Maintenant, nous nous retrouvons dans une situation où la direction est très hiérarchisée et les médecins n’ont plus cette possibilité de participer activement au processus décisionnel.

La réputation de la clinique Zitha repose sur le fait que nous avons mené un véritable travail d’équipe. C’était un ensemble qui fonctionnait harmonieusement. Nous vivons mal ici cette structure de gestion commune. Mais c’est surtout à l’esprit d’équipe que nous sommes très attachés. Si vous êtes à un bout du couloir et que vous ne connaissez pas celui qui se trouve à l’autre extrémité, c’est moche. Les gens viennent ici car c’est un cocon. On espère que notre direction saura peser à sa juste valeur la participation active des médecins à la gestion de la maison, souci d’ailleurs partagé par nos amis et collègues des autres cliniques.

Pour quels motifs cette fusion a-t-elle été mise en route ?

Je crois que l’ordre des carmélites tertiaires, propriétaire de la ZithaKlinik, est en perte de vigueur administrative et a décidé de ne plus s’occuper activement de la clinique. En plus, la situation politique et les discussions autour du nouveau plan hospitalier marquaient un moment qui semblait propice à une fusion.

Y aura-t-il forcément des gagnants et des perdants ?

J’espère qu’il y aura plus de gagnants. Ici, à la clinique, nous craignons surtout de perdre notre façon de faire, c’est-à-dire de pouvoir participer activement à la gestion. Je pense au recrutement de nouveaux médecins, notamment, pour lequel la spécialité donnait son accord, mais aussi le conseil médical. Il fallait non seulement juger des bonnes compétences mais aussi de la capacité à travailler dans le groupe. Ce travail d’équipe est important, et nous craignons de le perdre dans le grand manoir des hôpitaux Robert-Schuman. Le mieux aurait été de construire un nouveau bâtiment quelque part au vert et de travailler sur un projet commun. Mais ce n’est pas le cas. Dommage.

Ce rapprochement répond-il aussi aux exigences du nouveau plan hospitalier ?

Oui, certainement. Selon ce plan, on note une volonté claire et nette du ministère de réduire le nombre de lits pour soins aigus afin de favoriser le mode ambulatoire. Il y a également cette proposition qui est de développer des centres de compétence et d’excellence.

Or nous avons un grand projet d’investissement avec la construction d’une nouvelle aile, car nous sommes confrontés à une certaine vétusté de l’immobilier de la ZithaKlinik. Ce nouveau bâtiment permettra, entre autres, d’accueillir un grand hôpital de jour multidisciplinaire. Par ailleurs, le projet actuellement retenu de la répartition des grands services au sein des hôpitaux Robert-Schuman permettrait une construction de centres d’excellence.

Les centres de compétence sont-ils nécessaires ?

Nous avons une population de 550 000 habitants auxquels s’ajoutent quelque 180 000 frontaliers. Dans les autres pays, pour 800 000 habitants, un centre de compétences et d’excellence pour certaines spécialités suffit à pallier les besoins. Nous sommes au Luxembourg dans une logique de répartition par région. Mais nous faut-il vraiment un centre de compétence très pointu dans chacune d’elles ? Je pense que ce serait superflu. Mais c’est une discussion de politique régionale, nationale et de lobbyisme. Centraliser de façon plus importante certains domaines très pointus de la médecine est une nécessité.

Doit-on s’attendre à ne plus disposer de certains services dans tous les hôpitaux ? Que doit-on comprendre par « centre de compétence » ?

Non, il y aura toujours des spécialistes dans toutes les régions. Quand on évoque les centres de compétence, on pense ici aux sous-spécialités. Dans mon domaine de compétence qu’est l’immuno-rhumatologie, il faut des rhumatologues partout, car la population est vieillissante, donc nous avons beaucoup de maladies dégénératives. Mais nous avons, en plus, des maladies inflammatoires, des rhumatismes qui touchent les jeunes et parfois les enfants. Ce sont des maladies très agressives et là, c’est une autre compétence qui est nécessaire.

Un centre d’immuno-rhumatologie nous permettrait de centraliser des informations et certains traitements très spécifiques… Et ce centre, une sorte de « siège social », serait accessible à tous les rhumatologues. Mais je le répète, on parle ici de sous-spécialités.

Selon quels critères va-t-on désigner ces « sièges sociaux » ?

(Sourire). Il y a beaucoup de lobbyisme, beaucoup d’impacts politiques, beaucoup de discussions au sein des hôpitaux. Personne ne veut donner une part de son gâteau, or il faut trouver une bonne répartition dans l’intérêt des patients, c’est cela l’enjeu. Je prends l’exemple de la clinique Zitha qui dispose d’un appareil de mesure de la densité osseuse et qui est le seul du pays. Les rhumatologues de tout le pays viennent s’en servir. Il faut vraiment, de manière diplomatique, garantir l’accès aux médecins qui ne sont pas au « siège social ».

J’ajouterais encore, sur ce sujet des centres de compétence, que si l’on a des infrastructures disparates avec des informations disparates, vous ne pouvez pas comparer les traitements, les diagnostics et d’autres informations de manière optimale. C’est aussi cette logique qui guide la mise en place d’un registre en rhumatologie.

Que contient un tel registre et à quoi sert-il ?

Depuis l’avènement des nouveaux traitements en rhumatologie, comme les biothérapies, nous avons mis en route, quasiment dans tous les pays, des registres des maladies immunes et surtout des rhumatismes inflammatoires que l’on traite par ce genre de médication, mais dont on ignore encore toutes les retombées.

D’où l’importance de tenir des registres contenant les informations sur les patients pour mener des études scientifiques d’après un suivi longitudinal. Ce registre a d’ailleurs été présenté sous le patronage du ministre de la Santé lors d’une conférence publique, à l’occasion de la dernière journée mondiale de l’Arthrite et Lydia Mutsch s’est montrée très enthousiaste. Nous avons désormais son soutien, il nous manque celui du ministre de la Sécurité sociale et celui du ministre de la Recherche. Quand ce sera fait, nous pourrons faire un travail convenable.

La recherche est un domaine pour lequel le gouvernement consacre de gros investissements. Vers quel domaine souhaiteriez-vous qu’elle soit dirigée, par exemple ?

Je reviens sur cette idée du registre, et il ne s’agit pas de l’inventer, car il existe dans de nombreux pays. Or il n’existe aucun registre qui regroupe, pour une population, les informations sur des maladies différentes. Il y a des registres par maladie, mais qui ne regroupent pas une même population. Ici, sur une seule et même population, on peut établir un registre de plusieurs maladies qui ont des caractéristiques communes, des traitements quasi identiques.

Nous parlons ici des maladies inflammatoires médiées par le système immunitaire que sont les rhumatismes inflammatoires (polyarthrite, spondylarthrite et rhumatisme associé au psoriasis), les maladies inflammatoires intestinales (maladie de Crohn et rectocolite ulcéreuse) et le psoriasis. Le fait de regrouper les informations sur ces maladies (qui touchent environ 5% de nos concitoyens) dans la population nous donnera des données que les autres n’ont pas. C’est vraiment quelque chose de spécifique en termes de recherche, qui est rendu possible grâce à la petitesse de notre territoire.

Êtes-vous favorable à la création d’une faculté de médecine au Luxembourg ?

Je ne trouve pas cette idée géniale. Nous avons un potentiel dans le pays parce que les médecins ramènent tous des informations de leur faculté respective à l’étranger, et c’est ce qui fait la richesse de notre médecine. L’approche rhumatologique française n’est pas la même que l’allemande qui diffère encore de l’approche belge ou anglaise. Créer une faculté de médecine au Luxembourg risque de nous priver de cet apport de l’étranger qui nous rend unique dans la mesure où nous restons tous en contact avec nos facultés respectives à l’étranger.

Entretien avec Geneviève Montaigu