Le président sortant du syndicat FNCTTFEL-Landesverband (Fédération nationale des cheminots, travailleurs du transport, fonctionnaires et employés Luxembourg), Guy Greivelding, quittera ses fonctions le 31 janvier. L’occasion de tirer le bilan de sa riche carrière.
L’un des grands défis de votre fédération pour 2015 sera encore et toujours d’éviter la libéralisation dans le secteur des Chemins de fer prévue par le 4e paquet ferroviaire européen. Où en sont actuellement les négociations ?
La position de notre fédération et de l’ETF dans ce dossier (Fédération européenne des travailleurs des transports) est très claire : nous nous opposons à toute séparation entre infrastructure et exploitation des CFL. D’un autre côté, nous voulons que l’attribution directe (NDLR : prestation attribuée sans appel d’offres, donc sans faire jouer la concurrence) des transports de personnes au niveau national — aussi bien ferroviaire que routier — soit maintenue telle que définie dans le règlement PSO de 2007 sur l’organisation des transports publics.
La présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne au second semestre 2015 peut-elle accélérer les choses si le statu quo reste de mise sous la présidence lettone actuelle ?
Nous attendons en effet cette présidence tournante et savons que notre gouvernement défendra la position des travailleurs du transport et des cheminots européens et luxembourgeois sur ce paquet.
Êtes-vous régulièrement en contact avec le ministre François Bausch, en charge des Transports ?
Tout à fait : nous avons déjà discuté à maintes reprises de ce 4e paquet ferroviaire européen avec le ministre. De même que dans le passé, à chaque fois qu’un paquet ferroviaire était mis sur pied par la Commission européenne. Nous avons toujours eu des discussions constructives avec les différents ministres des Transports qui se sont succédé.
Estimez-vous avoir été entendus ?
Je dois dire que le gouvernement nous a toujours suivis.
Avez-vous donc eu des garanties du ministre François Bausch ?
Nous avons effectivement eu des garanties du ministre qui s’est positionné aux côtés des syndicats.
Y a-t-il une différence de style avec son prédécesseur, Claude Wiseler ?
Je dirais que François Bausch était cheminot, alors que Claude Wiseler ne l’était pas. Cela étant, le gouvernement précédent, tout comme le gouvernement actuel, s’est toujours opposé à la libéralisation des Chemins de fer.
Êtes-vous optimiste quant à un potentiel changement de cap de ce 4e paquet ferroviaire ?
Nous avons lutté durant des années et restons optimistes. Il faut convaincre tous les acteurs de ne pas accepter telle quelle la proposition de la Commission européenne.
Vous avez largement critiqué le néolibéralisme de la Commission Barroso l’an passé; l’arrivée de Jean-Claude Juncker à sa tête, pourrait-elle redistribuer les cartes ?
Jean-Claude Juncker ne s’est pas prononcé, jusqu’à présent, sur la politique des transports et surtout sur la politique concernant les chemins de fer. Il a dit qu’il voulait investir un tas de milliards d’euros pour relancer l’économie et pour la création d’emplois. Moi, je constate que durant les vingt dernières années, la libéralisation dans le secteur ferroviaire a coûté environ un million d’emplois en Europe. Je ne crois pas que ces emplois pourront être récupérés aussi facilement que cela !
Attendez-vous un signal de la part de Jean-Claude Juncker ?
J’espère bien qu’il en fera un afin de mettre un terme à cette libéralisation. Mais si je me focalise sur la composition de la Commission et sur les politiques européennes qui passent, je ne vois que du néolibéralisme.
Le secteur des Chemins de fer a en effet déjà connu diverses libéralisations dans le passé…
Oui, il y a eu la libéralisation du service marchandises sur rail, du transport international de voyageurs sur rail, et maintenant, nous sommes confrontés à la libéralisation du service voyageur national sur rail. Et personne ne sait ce que l’avenir nous apportera.
Les Chemins de fer sont donc menacés par le 4e paquet, mais pas uniquement ?
En effet, le transport sur route — des autobus — sera également affecté. Les Autobus de la Ville de Luxembourg (AVL), de même que les bus du TICE (Syndicat pour le transport intercommunal de personnes dans le canton d’Esch-sur-Alzette), seront touchés. Les services RGTR seront aussi concernés.
Quelle est, concrètement, la menace qui pèse sur le secteur ?
Si demain, les transports publics, sur le réseau national, venaient à être mis en concurrence et qu’un opérateur étranger venait à s’installer au Grand-Duché sans que ne soit réglée la reprise du personnel, une bonne majorité des cheminots luxembourgeois risqueraient de perdre leur emploi.
Combien de salariés se retrouveraient en danger ?
Les CFL comptent, dans la société mère, un peu plus de 3 100 agents, dont un bon millier est affecté au service voyageur. Et il faut également retenir les employés des AVL et du TICE.
La question de la libéralisation pose également celle de la sécurité. Vous évoquez souvent les catastrophes ferroviaires dont celle de 2009 survenue à Viareggio, en Italie (33 victimes)…
Sur les milliers d’emplois supprimés au cours des 25 dernières années, certains ont été remplacés par des emplois précaires. De nouveaux emplois « à charge multiple » ont également été créés et ils ne constituent aucunement une garantie sécuritaire. En plus de cela, aucune évaluation sociale n’a jamais été faite au sujet de la libéralisation des Chemins de fer.
Qu’en est-il de la plateforme multimodale de Bettembourg ? Est-ce l’un de vos grands défis pour 2015 ?
En effet, nous espérons créer de nouveaux emplois par ce biais et que davantage de marchandises transportées par la route le soient via les Chemins de fer.
Et que dire concernant les liaisons ferroviaires entre Luxembourg et Bruxelles, Liège voire la Rhénanie-Palatinat qui sont souvent décriées pour leurs durées de trajet et pour la vétusté de leurs lignes ?
Il est clair que le temps de parcours en direction de Bruxelles est trop long. Nous déplorons aussi que les Intercity directs vers Cologne et le nord de l’Allemagne aient été supprimés. Les CFL ont fait un effort pour s’associer avec la Rhénanie-Palatinat pour organiser des liaisons directes vers Coblence. Mais Coblence n’est plus une plateforme comme à l’époque, disposant de connexions idéales à destination du nord ou du sud de l’Allemagne.
Nous exigeons toujours la réintroduction d’une liaison directe offrant un confort ICE entre Luxembourg et Cologne et entre Luxembourg et Francfort. Concernant la ligne Luxembourg-Liège, nous exigeons que la région de Vielsalm/Trois-Ponts soit ralliée aux services publics luxembourgeois sur rails avec des trains directs.
Quelle est votre position par rapport au tram ?
Il est déplorable que les CFL et les AVL n’aient pas été retenus pour la réalisation de ce tram, ni pour son exploitation.
Revenons à présent sur le paquet pour l’avenir du gouvernement. Quelle en est votre impression globale ? Comment analysez-vous la mesure qui supprime le trimestre de faveur pour les fonctionnaires ?
La mobilisation des grandes confédérations syndicales a porté ses fruits, avec la tenue de négociations, puis avec des révisions faites sur 13 points du paquet, bien qu’il faille éviter l’écueil de tomber dans l’euphorie. Concernant le trimestre de faveur et la proratisation du congé, je rappelle que ces deux mesures ont été le résultat de négociations salariales dans le secteur public. Or celles-ci ont été abrogées, sans consultation avec les syndicats ! Nous allons retenir cela et les garder dans notre catalogue de revendications en vue des prochaines négociations salariales.
Quel bilan tirez-vous des 400 jours au pouvoir de la coalition gouvernementale ?
Je dirais que je suis globalement déçu, car je m’attendais à plus en termes de transparence et de dialogue social.
Votre congrès de la fin du mois sera l’occasion de désigner votre successeur. Avez-vous eu beaucoup de candidatures ?
Jean-Claude Thümmel se présentera comme unique candidat. Il a appris le métier en tant que secrétaire général et je suis convaincu qu’il sera un président sachant bien porter le drapeau de la FNCTTFEL. Je lui souhaite une bonne réussite !
Pour conclure, quel regard portez-vous sur votre carrière syndicale ?
Je suis entré aux CFL en 1971 et j’ai vécu des étapes très importantes du développement des Chemins de fer au Luxembourg. L’une d’entre elles a été le combat de la FNCTTFEL, en 1980, pour le maintien, la modernisation et l’électrification de la ligne du Nord (Luxembourg-Liège). Ce combat, que nous avons gagné, a été le point de départ d’une renaissance des Chemins de fer.
J’ai également vécu la grève de 1982 pour le maintien de l’index et assisté à deux tripartites ferroviaires. La seconde tripartite est d’ailleurs celle qui a débouché sur la création de CFL-Cargo. Je pense aussi à la grève de 2003, déclenchée pour assurer l’avenir des CFL avec suffisamment de personnel qualifié.
Durant toute la période où j’étais dans l’organe directeur du FNCTTFEL-Landesverband, j’ai milité pour le développement des Chemins de fer et de ses infrastructures, pour l’acquisition de matériel afin de fournir plus de critères de confort aux voyageurs. Dans ce contexte, il y a aussi lieu de relever l’importance du rôle du personnel. Je dirais que bon nombre de nos revendications ont abouti. De façon générale, je me suis toujours engagé pour préserver et même améliorer les conditions sociales de tous nos membres.
Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
L’action de la ligne du Nord, le 8 juin 1980, car celle-ci a permis de donner une nouvelle orientation à la politique des transports. Cette action a été un succès et a constitué le déclic pour un avenir meilleur des chemins de fer au Luxembourg.
Et votre plus mauvais souvenir ? Nourrissez-vous l’un ou l’autre regret ?
Non, je n’ai aucun regret. Je tire un bilan très positif de ma carrière. J’ajouterai que ce bilan n’a été possible que de par la solidarité de tous les membres de la FNCTTFEL qui se sont mis au service de la fédération.
De quoi votre avenir sera-t-il fait ?
Je resterai encore quelques mois aux chemins de fer en tant que secrétaire politique du comité mixte d’entreprise, afin que le secrétariat général, avec son nouveau président, puisse s’organiser. Je suis également élu jusqu’en 2018 à la Chambre des salariés, membre du comité de la CSL. Je resterai jusqu’en 2017 président de la section des Chemins de fer de l’ETF.
On m’a enfin récemment élu à la présidence de la société coopérative de notre fédération, qui en gère le patrimoine. Je ne serai donc pas perdu, mais je ne compte pas me mêler des affaires de la nouvelle équipe dirigeante de la fédération qui sera mise en place le 31 janvier.
Est-ce que la lutte continuera tout de même pour vous ?
Je resterai un militant actif et, si demain, une action devait être déclenchée, je serais dans les premiers rangs pour soutenir et défendre les droits des actifs, mais aussi ceux des retraités !
Entretien avec Claude Damiani