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Carlos Pereira Marques : « Changer l’image du Portugal »


Le nouvel ambassadeur du Portugal, Carlos Pereira Marques, plaide pour une meilleure intégration des Portugais au Luxembourg.

Selon l’ambassadeur, arrivé le 18 novembre dernier, des progrès doivent être réalisés dans l’enseignement des langues et dans l’accès de la communauté portugaise aux études supérieures. Carlos Pereira Marques souhaite aussi casser l’image passéiste du Portugal au Grand-Duché et promouvoir davantage d’échanges économiques entre les deux pays.

Que connaissiez-vous du Luxembourg avant d’être nommé ambassadeur ? 

Carlos Pereira Marques : Je n’étais jamais venu et j’en avais une connaissance générale. Mais ce qui est intéressant en tant que diplomate, c’est de rentrer dans les détails. Je suis venu deux jours en septembre pour avoir un aperçu. L’impression était positive, j’étais ravi de prendre ce poste. D’abord parce que nous avons d’excellentes relations politiques, économiques, culturelles. Il y a aussi cette liaison dynastique entre le Portugal et le Luxembourg, puisque le Grand-Duc Henri a de très fortes ascendances portugaises.

Et puis, surtout, il y a cette très forte présence de la communauté portugaise. Ce poste est, pour moi, un grand défi, dans le sens positif du terme. Il y a des Portugais un peu partout dans le monde : en Afrique du Sud, où j’ai été consul général, il y avait entre 200 000 et 300 000 Portugais. En Suisse aussi. Pour moi, c’est évidemment un plaisir. On se sent plus accompagné, on se sent un peu à la maison sans être à la maison !

Où en sont les relations économiques entre les deux pays ?

Nos exportations vers le Luxembourg augmentent ces dernières années, mais elles concernent surtout le marché de la « saudade » (NDLR : nostalgie), c’est-à-dire les vins et les produits alimentaires. Il y a tout un champ d’autres secteurs à explorer, dans lesquels le Portugal est performant, à commencer par les nouvelles technologies, la recherche, les énergies renouvelables avec, par exemple, le biogaz. Des domaines qui sont aussi en expansion au Luxembourg. Il y a régulièrement des missions d’entrepreneurs portugais qui viennent au Luxembourg. Il y a la même envie de développement côté luxembourgeois, je pense que l’on va avancer.

Le tourisme est-il aussi une voie à approfondir ?

Absolument. Je suis récemment allé au salon Vakanz et j’ai été surpris de voir que le Portugal y était presque absent. Ce sont surtout les Portugais résidant au Luxembourg qui se déplacent au Portugal. Pour les Luxembourgeois, l’Espagne est apparemment une destination traditionnelle, mais pas le Portugal, qui est pourtant juste à côté. Il reste méconnu comme destination. Il est même exclu des circuits touristiques européens.

La communauté portugaise, qui représente 16,5 % de la population résidente, est-elle bien intégrée au Grand-Duché ?

Sa présence est très appréciée. Quand j’ai rencontré le Grand-Duc Henri et le Premier ministre, Xavier Bettel, ils ont tout de suite eu des mots de reconnaissance et de sympathie pour la communauté portugaise. Mais je pense qu’il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la situation, avec des efforts à réaliser des deux côtés. J’ai notamment été surpris de voir des Portugais qui sont là depuis 8 ou 10 ans et qui ne parlent pas une des trois langues nationales. Ils vivent parfois entre eux et tombent dans la facilité de ne parler que le portugais. Je crois qu’ils devraient faire un effort pour parler au moins une langue nationale, car c’est très important pour l’intégration. Je ne vise pas tous ceux qui sont nés ici et qui parlent évidemment les langues nationales.

D’un autre côté, j’ai été tout aussi surpris de voir que les enfants d’origine portugaise nés au Luxembourg, qui ont appris les langues nationales, n’arrivent pas à atteindre le niveau supérieur de l’éducation. Seul un tout petit pourcentage parvient à l’université. Pourquoi ? Quelque chose ne marche pas.

Voyez-vous des causes sociales à cet échec ?

On n’arrive pas à comprendre exactement ce qui se passe. Bien sûr, il y a des explications sociales, avec des milieux parfois modestes et un manque de soutien à la maison. Mais ce n’est pas seulement ça. Je pense qu’il y a aussi une barrière à dépasser du côté luxembourgeois, au niveau des mentalités et du système. Les enfants portugais ne sont pas moins intelligents que les autres. J’en ai discuté avec les membres du gouvernement luxembourgeois et ils ont aussi conscience du problème. Tout le monde m’en parle. Nos deux pays essaient de trouver une solution ensemble. C’est dans l’intérêt du Luxembourg, car la majorité des gens vont rester ici.

Vous évoquez l’apprentissage des langues. Leur enseignement est-il à revoir selon vous ?

Oui. Avec le ministère de l’Enseignement, nous travaillons à modifier le système, notamment celui de l’enseignement intégré qui ne fonctionne pas. Les parents y voient très peu d’intérêt et n’y inscrivent pas leurs enfants. Prendre des petits Portugais, les séparer des autres élèves pour leur donner des cours de géographie ou d’histoire en portugais, ce n’est pas la bonne solution. Nous étudions une alternative. Des voyages de délégation ont eu lieu en ce sens en décembre au Luxembourg et fin janvier au Portugal. La question des langues est une priorité pour nous et le Luxembourg est aussi conscient qu’il faut perfectionner le système.

Quid de l’enseignement du portugais ? Est-il suffisamment développé ?

Non. Le portugais doit être perçu différemment, comme une langue en soi, et pas seulement une langue liée à la communauté portugaise. Le portugais est parlé par 244 millions de personnes au monde, c’est la troisième langue la plus parlée dans les réseaux sociaux. C’est une langue avec un potentiel économique énorme, si l’on songe aux marchés émergents d’Afrique et d’Amérique du Sud. C’est une langue qui vaut la peine d’être apprise. Elle devrait faire partie de l’offre de langues comme les autres au Luxembourg.

L’ouverture de l’école européenne de Differdange en 2016 est une très bonne nouvelle, car le portugais et l’allemand y seront proposés aux élèves des deux branches, francophone et anglophone. Le portugais doit devenir une option pour tous les élèves, pas seulement pour les Portugais. Cela serait avantageux pour tout le monde.

Que pensez-vous du regard des Luxembourgeois sur le Portugal ?

Les gens n’ont pas conscience de ce qu’est le Portugal moderne, ils ont toujours une image liée au passé, une vision qui se limite aux images traditionnelles du Portugal, le fado, la bonne nourriture… On est aussi en train de travailler là-dessus. Le culturel est très important pour cela. Je suis d’ailleurs étonné de la grande attirance des Luxembourgeois pour la culture portugaise, avec beaucoup de concerts et d’expositions.

En 2017, le musée national d’Art ancien de Lisbonne organisera une grande exposition au musée national d’Histoire et d’Art du Luxembourg, notamment sur l’ouverture des Portugais au monde. Il faut continuer dans ce sens-là. Si on a une présence plus importante des écrivains portugais, des chanteurs, des scientifiques, des entrepreneurs, l’image du pays s’améliorera.

Les regards sur la communauté portugaise doivent-ils aussi évoluer ?

Oui. La grande majorité des gens qui viennent sont d’origine modeste et simple. Cela joue forcément sur les regards. Mais cela va venir. Avec la deuxième et la troisième génération, si les jeunes accèdent aux cours supérieurs, l’image va aussi changer. C’est une évolution naturelle. En tout cas, ils se sentent bien ici, ils aiment le Luxembourg.

Félix Braz, issu de l’immigration portugaise et aujourd’hui ministre de la Justice, est-il un exemple d’intégration ?

Tout à fait. Lors de notre conversation, il m’a expliqué que l’un des facteurs de sa réussite était justement d’avoir appris le luxembourgeois et les langues nationales quand il était tout petit. Ça l’a énormément aidé. Il a su aussi garder ses racines et parle un magnifique portugais, avec un accent parfait!

Considérez-vous l’émigration des familles portugaises au Luxembourg comme une chance ?

Il faut être prudent. Il y a un vrai problème avec les Portugais qui arrivent ici sans avoir de contrat de travail. C’est une préoccupation à la fois des autorités portugaises et luxembourgeoises. Ils ont le droit de venir, c’est la libre circulation des personnes. Mais ensuite, cela pose des problèmes, il y a un pourcentage important de chômeurs au Luxembourg qui sont portugais. C’est une question qui ne se posait pas avant car la situation au Luxembourg n’est pas la même, il y a 7 % de chômage. Auparavant, quand les Portugais arrivaient à la gare, quelqu’un les attendait avec des offres de travail. Ce n’est plus comme ça.

Ces personnes ne devraient pas venir ?

L’émigration doit toujours se faire avec un certain sens des responsabilités, il ne faut pas partir comme ça. C’est une question de sensibilisation. Évidemment, c’est plus facile de venir ici, au Luxembourg, que d’aller au Mozambique, en Angola ou au Brésil. Mais les gens doivent avoir la même prudence et la même conscience, et ne pas partir au hasard sans être préparés.

Que pensez-vous de la question du droit de vote des étrangers, qui sera posée par référendum le 7 juin ?

Poser cette question est une décision très courageuse, généreuse et clairvoyante. Car il y a une très grande partie de la société luxembourgeoise qui est aujourd’hui écartée des décisions politiques. C’est aussi très important pour l’intégration de la population. Si la réponse est oui, je ne pourrai qu’être content.

Y a-t-il beaucoup de Portugais qui ont la double nationalité ? Faut-il l’encourager ?

Il n’y en a pas beaucoup car c’est quelque chose de récent. Mais oui, il faut l’encourager, le Portugal l’a toujours fait partout dans le monde. On ne devient pas moins portugais en étant aussi luxembourgeois. L’important est de garder son identité. Aujourd’hui, ce n’est plus comme avant. Quand les Portugais arrivent, c’est pour rester.

La situation économique au Portugal s’améliore, le chômage a baissé à 13,5 %. L’austérité, ça marche ?

Les dernières années ont été exigeantes et difficiles, avec beaucoup de sacrifices. Mais la situation s’améliore nettement. Le tourisme et nos exportations se comportent très bien. On attend une croissance de 1,5 % en 2015, c’est positif. Le déficit devrait atteindre cette année son niveau le plus bas depuis 1974. Nous avons des raisons d’être optimistes.

Le gouvernement portugais est opposé à une renégociation de la dette grecque. Pourquoi ?

Les mesures d’austérité ont été exigeantes pour tout le monde. Nous comprenons les motivations sociales qui ont amené le vote des Grecs, nous le respectons, mais nous pensons aussi que les règles doivent être respectées. C’est une question de respect mutuel.

Après Syriza en Grèce, le parti Podemos a le vent en poupe en Espagne. Le Portugal pourrait-il être concerné par ce ras-le-bol des politiques européennes ?

Je pense que le Portugal n’a pas ce genre de risques. Heureusement pas. Les choses se sont passées dans une certaine stabilité politique, avec une prévisibilité qui est importante pour les marchés économiques et financiers. Il y a des interrogations aujourd’hui sur l’Union européenne, mais il faut envisager cela de façon rationnelle et sereine. L’Europe sociale a encore du chemin à faire, c’est sûr. C’est un long chemin.

Entretien avec Sylvain Amiotte