Préparés et formés aux situations catastrophiques, le vendredi 13 novembre restera pour les pompiers du 18, « indescriptible ». Trois longues heures à expliquer comment sauver des vies aux otages du Bataclan, gravées à jamais dans la mémoire du caporal-chef Jérôme.
21h45. « Descends vite! » Le top est donné pour le caporal-chef, pompier depuis 11 ans qui vient rejoindre la « salle 18 », où les appels sont reçus.
À son arrivée, la stupeur: « Ca commence à monter en puissance, j’entends des gens qui nous appellent depuis des bars de Paris… puis du Bataclan », se souvient le chef de table, qui gère plusieurs « opérateurs » répondant directement aux victimes ou aux familles.
Ce vendredi 13, deux explosions surviennent aux abords du Stade de France, et quelques minutes plus tard à Paris, des hommes armés mitraillent terrasses de café et restaurant tandis qu’une troisième équipe s’engouffre au Bataclan. Dans la salle de concert, 1 500 personnes assistent au concert du groupe rock Eagles of Death Metal. C’est là que les jihadistes feront le plus de victimes entre 21h40 à 00h18, heure de l’assaut des forces de l’ordre.
« Le seul fil »
Le caporal-chef Jérôme en reste marqué: « On est les premiers à entrer en contact avec les otages du Bataclan, à prendre de plein fouet leur stress et à essayer de les calmer ».
« Ils nous appellent pour nous dire: J’ai plein de cadavres devant moi ou encore Je suis blessé, je me trouve dans telle ou telle salle, est-ce que vous êtes au courant?« .
Pour celles et ceux qui n’ont pas réussi à fuir, les pompiers seront pendant trois heures « le seul fil qui les lie à l’extérieur ».
La pression et le stress sont à leur comble dans la « salle 18 ». Les pompiers enchaînent les appels le plus vite possible alors que 30 à 40 personnes sont en attente sur le standard pendant trois quarts d’heure. Isolés dans leur salle sans fenêtre, au bout du fil, ils entendent « les cris de douleur, de peur, des gens qui (les) suppliaient de venir vite ».
Jérôme, 31 ans, comprend la peine qu’éprouvent ses hommes. « Lorsque je vois le regard des opérateurs, que je les vois me chercher, en quête d’un soutien, je comprends que c’est grave, très grave », raconte-t-il, encore ému. Dans les yeux, le responsable voit « de l’étonnement, des hommes perturbés », qui soufflent, demandent parfois de l’aide, s’agitent, cherchant un appui contre le dossier de leur chaise.
Mais il faut aller vite. Répondre. Rassurer. « On guide les victimes ou ceux qui les accompagnent, on leur dit de se déshabiller, prendre un tee-shirt et l’utiliser pour faire un point de compression sur les plaies… De la médecine de guerre », dit-il.
« Combien de morts ? »
« Quand on décroche, on ne sait jamais sur quel genre de coup de fil on va tomber », explique-t-il.
Qu’importe. Les informations sont précieuses et il faut également récolter le maximum de données sur les victimes: « Combien sont-ils sur les toits? dans les loges? cachés sous les corps? »…
Le caporal-chef s’engage alors dans une course effrénée entre la salle 18 et la cellule médicale, située un peu plus loin. Là, un grand tableau blanc avec inscrit « site 1, site 2, site 3, site 4 », en dessous, le nombre de blessés et de morts.
« Les appels nous permettaient d’avoir une idée chiffrée. Plus les minutes passaient, plus je voyais le nombre de morts au Bataclan augmenter, augmenter, augmenter… ». Le caporal-chef s’interrompt. »Les gens à l’intérieur morflaient », et les appels de détresse se poursuivaient. Consigne est donnée, répétée et martelée aux opérateurs: il faut « rassurer les blessés ».
Alors quand sa hiérarchie lui dit qu’un assaut va être donné dans la salle de concert peu avant minuit, le caporal-chef est « tellement content » qu’il le dit à ses hommes. « Tenez bon les gars, la BRI (Brigade de recherche et d’intervention, Ndlr) et le Raid vont intervenir », leur lance-t-il. Un pompier ose alors poser la question tant redoutée: « Jérôme, on a combien de morts ? ». « 80 morts… », lui répond-il. L’opérateur souffle, et répète inlassablement le nombre macabre. Le bilan s’établira à 90 morts.
AFP