«Mais bien sûr que je suis un réfugié, qu’ils aillent s’y installer en Afghanistan, vos gouvernements, s’ils croient que c’est vivable»: sur le port de Lesbos, Sajjad se refuse à admettre qu’il pourrait faire les frais du tri que veut faire l’UE dans l’exode en cours.
Arrivé la veille sur l’île grecque depuis les côtes turques proches, avec sept amis, tous de jeunes hommes, cet Afghan de 22 ans, qui préfère ne pas donner son nom de famille, attend de prendre le bateau pour Athènes afin de continuer sa route vers l’Europe.
Direction: «la Suède». L’Allemagne n’a pas la cote parmi le groupe qui dit suivre, sur portables, les instructions des passeurs auxquels il a recouru, étape par étape, depuis le départ d’Afghanistan.
«Mais je verrai bien quel pays voudra bien m’accueillir», ajoute Sajjad dans un anglais approximatif.
Parti mi-septembre, «quand nous avons appris que l’Europe ouvrait ses frontières», il hésite entre rire et indignation quand il se fait expliquer que les plans européens excluent les Afghans de la répartition prévue dans l’UE de 160.000 demandeurs d’asile.
Pour cette nationalité, le taux d’acceptation des demandes individuelles est de 63,6% selon le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR). En dessous du seuil de 75% fixé par l’UE pour bénéficier d’une «relocalisation» d’emblée, actuellement réservée aux Syriens, Érythréens et Irakiens.
Et les Nations Unies viennent d’appeler à un effort international pour aider au rapatriement des millions d’Afghans s’étant réfugiés à l’étranger ces dernières années, avançant que leur retour au pays pourrait aider à sa stabilisation.
Samedi, le ministre grec à la politique migratoire, Iannis Mouzalas, a toutefois indiqué avoir demandé à l’UE qu’elle «revienne sur la question des Afghans», la Grèce redoutant de devoir prendre en charge seule cette population, qui forme un gros contingent des arrivées.
Selon Dimitris Amoutzias, sous-directeur de la police à Moria, un des camps d’enregistrement des migrants, environ la moitié des arrivants à Lesbos fin septembre étaient des Syriens, les autres étant principalement Afghans, mais aussi Palestiniens, Iraniens ou Pakistanais. Au total, la Grèce a enregistré plus de 400 000 arrivées depuis janvier, déjà dix fois plus qu’en 2014.
« Camper devant la porte »
Comme d’autres responsables locaux, l’officier de police n’a pas de réponse toute prête à la question de savoir comment l’île, ou le pays, pourra gérer tous ceux dont l’UE ne voudra pas, une fois les frontières européennes reverrouillées.
«Si on nous ferme la porte, nous camperons devant, nous sommes très nombreux, ça nous donne de la force», s’énerve le neveu de Sajjad, Bismillah. Il affirme ne pas en être à son premier exil, réfugié encore enfant au Pakistan, d’où sa famille a ensuite été contrainte de repartir pour l’Afghanistan.
Avec ses doubles rangées de grillages surmontés de barbelés et surveillés par des caméras, le camp de Moria a été construit sur fonds européens pour détenir ceux qui doivent être renvoyés. Mais face à l’afflux cet été, et aux tensions croissantes entre Afghans et Syriens du fait de leur différence de traitement, il a vite été transformé en campement ouvert.
Reste que pour pouvoir quitter l’île, les migrants doivent présenter un laisser-passer qui ne leur est délivré qu’une fois leurs empreintes digitales entrées dans la base de données européennes Eurodac, selon M. Amoutzias. De quoi retrouver leur trace même une fois dispersés en Europe, et renvoyer ceux qui n’auront pas obtenu l’asile.
«17 ans! A qui tu veux faire croire que tu as 17 ans? toi?», s’énerve un officier grec face à un jeune Afghan, dans le bureau d’identification où des employés de Frontex, l’Agence européenne de surveillance des frontières, s’emploient à un premier tri entre les réfugiés présumés et les autres.
Bismillah aussi annonce le même âge, sans grande conviction. Si Frontex y avait cru, il aurait en principe dû être accueilli comme mineur isolé, éligible à l’asile.
Ses partenaires européens et la Commission européenne ne perdent pas une occasion pour rappeler à la Grèce qu’elle ne pourra bénéficier du mécanisme de relocalisation qu’en échange d’un fonctionnement efficace de cette procédure de sélection et fichage. Ils lui promettent pour ce faire plus d’argent et de renforts, tant la tâche s’annonce ardue.
Mais faudra-t-il que le pays accepte de reprendre les dizaines de milliers de personnes déboutées des autres États membres, devra-t-il procéder à des détentions à grande échelle avant leurs renvois? Jusqu’à présent, la réponse de M. Mouzalas, ministre du seul gouvernement de gauche radicale dans l’UE, est de prévenir que la Grèce n’a pas vocation à devenir «un camp de concentration géant».
«Il nous serait impossible de prévoir 100.000 places d’accueil, ou 200 000 de détention» pour les migrants jugés irréguliers, «nous l’avons clairement dit à nos partenaires», a commenté une source gouvernementale.
AFP/M.R.