Le pape François a dressé lundi devant la curie une liste des maux qui la menacent, dans un discours illustrant son intransigeance au risque d’aggraver les tensions au sein du Vatican.
[Best_Wordpress_Gallery id= »57″ gal_title= »Curie Romaine »](Photo : AP)
Dans ses voeux au gouvernement de l’Eglise, le pape argentin a énuméré quinze « maladies » dans un réquisitoire condamnant, sans désigner personne nommément, la mondanité, l’hyperactivité, la manipulation des collaborateurs, la corruption des moeurs, les rivalités, les calomnies et la zizanie. Dans le cadre très solennel de la Salle Clémentine au Vatican, il a ainsi convié les membres du haut clergé à « un véritable examen de conscience ». « L’Alzheimer spirituel », « la fossilisation mentale et spirituelle », « le coeur de pierre », « le terrorisme des bavardages », « la schizophrénie existentielle » menacent les cardinaux. Mais aussi « l’exhibitionisme mondain », « la planification d’expert-comptable », « les cercles fermés », « les têtes d’enterrement »… « La guérison est le fruit de la prise de conscience de la maladie », a plaidé le pape, dans un silence de plomb, en appelant les cardinaux à laisser « l’Esprit saint » inspirer leurs actions, sans se reposer sur leurs dons intellectuels ou d’organisation. Depuis son élection en mars 2013, François avait déjà souvent tempêté contre des attitudes mondaines, carriéristes voire dissolues, mais jamais en des termes aussi virulents. Il a appelé chacun à ne pas tomber dans les différents pièges que tend le pouvoir clérical.
« Ce n’est pas le discours d’un grand patron qui annoncerait la restructuration de son entreprise, ou de celui qui chercherait à déclencher une chasse aux sorcières », analyse le vaticaniste Andrea Tornielli. « Le pape parle dans une perspective totalement évangélique, invitant tout le monde, y compris lui-même, à se convertir », estime-t-il. Facétieux, le pape argentin a évoqué la tentation de « se sentir immortel » et a invité les prélats à se rendre dans les cimetières où reposent « tant de gens qui se considéraient comme indispensables ». Lui qui ne prend jamais de vacances a conseillé à ses collaborateurs d’éviter la « maladie » de l’hyperactivité. Il s’en est aussi pris aux « têtes d’enterrement », appelant à ne jamais perdre « l’autodérision ». « Cela fait du bien une bonne dose d’humour! », a-t-il lancé aux cardinaux.
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Certains « créent leur monde parallèle, dans lequel ils mettent de côté ce qu’ils enseignent avec sévérité aux autres et mènent une vie cachée et souvent dissolue ». Certains prélats « sont totalement prisonniers de leurs passions, leurs caprices et leurs manies », a insisté Jorge Bergoglio. Fustigeant la calomnie, il a fait état du cas d’un prêtre du Vatican « qui appelait les journalistes pour raconter et inventer des choses sur la vie privée de ses confrères » afin d’être « à la une des journaux ». Il a aussi dénoncé implicitement la lutte de pouvoirs qui se poursuit aujourd’hui dans le petit Etat, parfois entre pro et anti-Bergoglio : « Certains sont capables de calomnier, diffamer et discréditer les autres, jusque dans les journaux ». Des cardinaux se sont ainsi querellés par médias interposés autour du synode d’octobre sur la famille, en particulier sur la question des divorcés remariés et des homosexuels. D’autres sont même ouvertement hostiles au souverain pontife en lui reprochant son style jugé brusque, autoritaire et non conventionnel.
Le « pape de l’autre bout du monde », qui a expliqué qu’il se sentait parfois « anticlérical », a engagé une profonde réforme de la curie, qui devrait se traduire par des fusions de « ministères » et une ouverture aux laïcs, mais pas avant 2016. Pour tenter de détendre l’atmosphère à la fin de son discours, François a conclu sur une boutade montrant que son exigence ne signifiait pas, loin de là, qu’il tenait tous les membres de la curie en piètre estime : « Les prêtres sont comme des avions. Ils font la une quand ils tombent, alors qu’il y en a tant qui volent ».
AFP