Cheddar irlandais, vin français, bacon danois: l’appétit britannique pour les produits de ses voisins européens pourrait bien venir perturber le marché agricole des 27 une fois le Brexit scellé, préviennent les professionnels du secteur.
Dans un rapport préliminaire de 156 pages publié fin avril, le principal syndicat européen agricole, le Copa-Cogeca, tirait déjà la sonnette d’alarme un mois après la notification officielle du départ britannique. «Les agriculteurs ne devraient pas avoir à payer le prix d’une décision politique», lançait alors Thomas Magnusson, le président de la Cogeca. Principale inquiétude du syndicat: l’Union européenne à 27 est l’un des principaux fournisseurs du Royaume-Uni, qui est un importateur net de produits agricoles. Le total des exportations agroalimentaires se monte à plus de 45 milliards d’euros. «Par ordre de chiffres d’affaires des exportations de l’UE vers le Royaume-Uni, les secteurs des fruits et légumes, de la viande bovine, du lait et du vin sont les plus susceptibles d’être touchés», avertissent les auteurs du rapport.
Selon le Copa-Cogeca, «il est fortement souhaitable» que la Commission européenne inclue dans ses budgets 2019 et 2020 des «outils de gestion de crise adéquats», qui ont fait leur preuve lors de précédentes crises, comme des aides au stockage privé pour les produits laitiers et la viande porcine, ou encore un fonds opérationnel pour les fruits et légumes. La sortie du marché unique du Royaume-Uni – fin amateur des spécialités de ses voisins continentaux – devrait surtout avoir un impact important sur les indications géographiques fromagères et vinicoles.
Revers de la médaille
L’agriculture occupe la 17e place des secteurs d’exportation du Royaume-Uni vers l’UE, loin derrière le secteur automobile. En prévision des tractations sur l’acte de divorce, «cela donne (à Londres) du pouvoir dans la négociation, mais il y a des domaines où la situation est inversée», souligne Alan Matthews, spécialiste de la politique agricole européenne à l’université irlandaise de Trinity College de Dublin.
Whisky écossais, agneau britannique ont ainsi à craindre d’une perturbation dans les échanges commerciaux. Soit 11 milliards de livres sterling tout de même pour l’économie britannique, souligne le Copa-Cogeca. «Ce serait faire fausse route que de ne regarder qu’une seule branche ou un seul secteur. Les négociations ne seront pas que sur l’agriculture, mais sur l’économie entière», souligne le professeur Matthews.
Cinq pays sont particulièrement concernés dans le reste de l’UE: l’Allemagne, la France, l’Espagne, la Belgique et le carrefour commercial que sont les Pays-Bas, ainsi que l’Irlande. Le pays du trèfle exporte plus d’un tiers de ses produits agro-alimentaires vers le Royaume-Uni (37% en 2016), plus de la moitié de son boeuf et plus d’un tiers de ses produits laitiers. Certains marchés sont presque entièrement dépendants: 80% du cheddar irlandais part au Royaume-Uni et 90% de ses champignons.
Dans son rapport d’impact sur le Brexit, le gouvernement irlandais estime que «nombre de ses effets économiques n’émergeront probablement qu’après le retrait» effectif du Royaume-Uni. Mais déjà son secteur agricole a souffert d’une première conséquence collatérale, la chute de la livre sterling: la valeur des exportations de denrées alimentaires et de boissons a baissé de 500 millions d’euros en 2016.
Par ailleurs, si le marché britannique lui est plus difficilement accessible, l’Irlande devra trouver d’autres débouchés, ce qui laisse entrevoir d’importants déséquilibres sur des marchés déjà fragiles, comme celui de la viande bovine. La grande inconnue à l’heure actuelle est la nature de la future relation entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. L’agriculture est l’un des dossiers les plus sensibles dans les négociations d’accords de libre-échange.
La perspective d’un Brexit «dur» laissée ouverte par la Première ministre conservatrice Theresa May, signifiant un départ de l’Union douanière, pourrait faire grimper les prix. Préoccupation supplémentaire: le Royaume-Uni est un contributeur net au budget européen. Un calcul rudimentaire tenant compte de la contribution britannique et de la part du budget consacré à la Politique agricole commune (PAC) ferait apparaître un trou de trois milliards d’euros.
Le Quotidien/AFP