La plus grande réserve géologique de France vient de voir le jour dans le Lot, afin de protéger des trésors uniques au monde, comme une plage vieille de 140 millions d’années où ont marché les dinosaures.
«Ici, c’étaient les Bahamas»: dans un hangar sombre préservant de l’érosion le sol précieux d’une ancienne carrière, Alexandre Itier dirige la lumière crue d’un halogène sur le calcaire poli par des millions d’années. Apparaissent alors des centaines d’empreintes dessinant «la plage aux ptérosaures».
«Il y a 140 millions d’années, la mer arrivait ici. Les animaux ont laissé leurs empreintes dans la vase, qui a séché comme dans du plâtre», raconte à des touristes ébahis le guide et responsable de la plage située à Crayssac (Lot). Les traces d’une trentaine d’animaux ont été recensées, dont des dinosaures et leurs cousins volants, les ptérosaures, qui pouvaient atteindre la taille d’un avion de tourisme.
Ces empreintes «uniques au monde» ont notamment fait comprendre que les ptérosaures «marchaient à quatre pattes et non à deux comme de vulgaires poulets», ce qui a permis de reproduire la fameuse course de ptérosaures qui fait frissonner les spectateurs dans Jurassic Park 3.
Mais ce patrimoine exceptionnel était en danger. «On a déjà attrapé un pilleur et il n’a eu qu’une petite amende», se souvient M. Itier. Car, à la différence de l’archéologie, la géologie n’est pas protégée et un fossile est considéré comme «un simple caillou». «Les pilleurs pouvaient simplement être poursuivies pour violation de vie privée», explique le guide.
C’est pour apporter une protection légale que la «Réserve naturelle nationale d’intérêt géologique du Lot» a été créée le 2 juin. Sur 800 hectares, elle regroupe 21 communes et 59 groupes de sites.
Un potentiel de fouilles colossal
«C’est la plus grande réserve naturelle géologique de France», résume Jean-Pascal Salambehère, chargé de mission auprès de la Dréal du Lot (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement). La réserve offre un financement «de 100 à 120.000 euros par an, soit deux employés», mais surtout un cadre juridique.
«Avant, n’importe qui pouvait aller prélever. Maintenant, les sanctions encourues se chiffrent en milliers d’euros», se réjouit Thierry Pelissier, président du Conseil scientifique du Parc naturel régional (PNR) des Causses du Quercy, qui a été l’un des instigateurs de la réserve.
Président de l’Association des phosphatières du Quercy, le géologue a assisté impuissant pendant des années à «un pillage très, très important» des fossiles vieux de 52 à 18 millions d’années que contiennent ces anciennes mines, dont la plus connue est celle du Cloup d’Aural, à Bach (Lot).
«Parfois, des dizaines de mètres cubes de déblais étaient enlevés. Certains habitués passaient leurs mois d’été ici à piller», rappelle M. Pelissier. Mais la préservation n’est pas l’objectif unique de la réserve, qui vise également à faciliter les fouilles.
«C’est très important car il y a encore beaucoup à mettre en valeur», explique Marc Godinot, directeur d’études à l’École pratique des hautes études de Paris, en tamisant des boues rouges sous le soleil cuisant. «Jusqu’à présent, les moyens de fouilles étaient quasi-nuls. Avec le label de réserve, les chances sont multipliées par 50 pour obtenir un financement», explique Thierry Pelissier.
«Le potentiel est colossal», dit le géologue, qui souligne le caractère «unique» des fossiles des phosphatières en pointant du doigt l’impressionnante «bête de Cahors» reposant sur le sol humide d’une grotte fraîche. «C’est le squelette le plus complet au monde de cadurcothère (sorte de rhinocéros sans cornes, ndlr) : le crâne avec une impressionnante dentition, la colonne vertébrale, et jusqu’aux doigts …», énumère le géologue.
Grâce au phosphate, qui permet une excellente conservation, des animaux momifiés ont même été découverts, «ce qui est très rare», dit-il en citant le cas d’une salamandre préhistorique retrouvée avec son cerveau, les organes sexuels et même le tube digestif contenant les restes de la dernière proie.
Pour le PNR des Causses, la prochaine étape est maintenant d’obtenir le prestigieux label de «Geopark», géré par l’Unesco. Le dossier sera déposé à l’automne auprès de l’État français. S’il est retenu et envoyé par Paris à l’Unesco, la réponse tombera en septembre 2016. Le Lot serait alors l’un des plus grands «Geopark» au monde.
AFP