L’Hexagone en a fini avec une année d’élections dense qui a vu sa classe politique se renouveler. Le Journal du off propose de découvrir la présidentielle de l’intérieur.
James, l’auteur de Dans mon open space, Comme un lundi, Backstage ou encore À la folie… est de retour en librairie avec Le Journal du off. Une sorte de making of de la campagne présidentielle française réalisé avec les journalistes Renaud Saint-Cricq et Frédéric Gerschel. Un album passionnant sur les coulisses d’une campagne pas comme les autres.
Le Quotidien : Les lecteurs vous ont connu comme un auteur d’humour, mais depuis quelques années, la politique semble vous occuper plus que tout le reste. Comment expliquer cette passion tardive?
James : J’ai toujours eu beaucoup d’intérêt pour la chose politique. Après, si je travaille pas mal sur ce sujet, c’est un peu un hasard. Au lendemain de l’élection de Hollande, Guillaume Bouzard a lancé un blog où il publiait ses dessins politiques. Je lui ai envoyé quelques dessins pour blaguer, il m’a alors demandé de le rejoindre. Je me suis donc mis à faire du dessin d’actualité, et j’y ai pris goût. De là sont venus d’abord un strip d’actualité par semaine sur lemonde.fr , puis Glénat avec ce projet-ci.
Comment est né ce Journal du off alors?
Sur une initiative de Renaud Saint-Cricq qui en a parlé d’abord avec son collègue Frédéric Gerschel. Ils ont proposé le projet à Glénat, et c’est l’éditeur qui m’a ensuite contacté, moi, pour le dessin.
Vous avez dit oui tout de suite?
Disons que j’ai donné un accord de principe rapidement. J’aime les choses qui bousculent mon quotidien, les paris et les trucs qui semblent impossibles. Là c’était l’occasion de tenter un truc qui n’avait jamais été fait en BD.
Quand on parle d’une campagne présidentielle française, en BD, on pense à Mathieu Sapin et sa Campagne présidentielle . Mais pour le Journal du off , vous ne suivez pas un seul candidat, mais toute la campagne. C’est un travail titanesque, non?
C’était un gros, gros challenge, notamment au niveau de l’écriture du scénario, parce qu’il fallait aller à la source même de l’actualité. Comme on voulait raconter ce qui se passait vraiment en coulisse, il fallait avoir les billes pour. Renaud a eu un réseau d’informateurs ad hoc. Autre difficulté, cette fois-ci pour moi, c’est que toutes les deux pages je changeais de personnage. D’habitude, en BD, on suit un personnage, ou un petit groupe, du début à la fin de l’album. Là, comme on suit un peu tout le monde en parallèle, on passe très rapidement d’un personnage à un autre, sans jamais avoir le temps de s’habituer à l’un ou l’autre.
En plus, l’album est sorti le 17 mai, c’est-à-dire trois jours seulement après l’arrivé à l’Élysée d’Emmanuel Macron. Vous avez donc dû travailler extrêmement vite.
Tout à fait. Et je reconnais que la dernière semaine a été infernale. L’élection était dimanche, j’ai fini dans la nuit de lundi à mardi. À 6 h du matin, j’ai envoyé ma toute dernière page et à 10 h c’était chez l’imprimeur. Mais comme j’ai longtemps travaillé dans la pub, je suis habitué à ce genre de charrette.
Mais là, c’est une charrette de, quoi, quatre mois?
Six mois! J’avoue que j’ai fini sur les rotules. D’ailleurs, je n’ai pas beaucoup dessiné depuis.
Bon, en dehors de la petite trouvaille scénaristique de ce journaliste qui suit la campagne, tout ce que vous reprenez, dit par un politicien ou un de ses proches, est vrai. On savait que la politique était un milieu difficile, mais ce que vous montrez là, c’est O. K. Corral!
C’est ça. Tout n’est pas très glorieux. Les gens passent leur temps à se trahir mutuellement et on se rend compte que l’essentiel du combat politique c’est plus d’aller brouter l’herbe du voisin le plus proche plutôt qu’affronter l’adversaire de l’autre bord. On a donc plus d’adversaires à l’intérieur de son parti que chez les autres. Et ça, quel que soit le bord! Ce n’est pas ce qu’on attend de la politique. On croirait une entreprise qui essaye de bouffer les parts de marché de son concurrent le plus proche.
L’album reprend toutes ces amabilités entre politiciens, mais ce qui le rend fascinant c’est aussi qu’on y découvre la campagne présidentielle de l’intérieur. Plus que le « journal du off », c’est presque plus le « making of de la campagne », non?
Oui, mais on ne voulait pas mettre ça comme ça, parce qu’on ne prétend pas avoir tout couvert. Il y a des choses qu’on n’a pas racontées, d’autres qu’on n’a pas sues. Ce n’est donc pas « les coulisses », mais « dans les coulisses » de la campagne. Sinon, on aurait dû faire un bouquin de 1 000 pages et tout n’aurait pas été intéressant. Là, on n’a gardé que les côté éclairants ou amusants, notamment au moment de la primaire socialiste avec la candidature de Peillon, montée en 15 jours seulement. Ça montre bien qu’on est parfois dans le n’importe quoi.
L’album commence le 24 août 2016. Comment a été décidée cette date?
C’est le jour où Sarkozy annonce clairement qu’il est candidat à la primaire de la droite. À l’époque c’était un des personnages phares de la campagne à venir.. .
Oui, c’est drôle de constater qu’au départ tout le monde pariait sur un remake de 2012, avec un duel Hollande-Sarkozy. Finalement la campagne vous a offert le meilleur des scénarios, non?
C’est clair, on craignait tous de repartir sur 2012. Comme on pensait que la campagne officielle ne serait pas très riche, on a voulu couvrir la précampagne, et surtout la primaire des Républicains, puisque tout le monde pensait que son vainqueur serait le grand favori de la présidentielle. Mais finalement, chaque matin ou presque, on découvrait des nouvelles choses. On n’a pas eu à inventer les rebondissements, ils sont venus à nous.
À la fin de l’album, il est déjà question des législatives qui viennent de rendre leur verdict dimanche. Vous ne vouliez pas continuer l’album jusque-là?
On aurait pu, mais la France reste un régime un peu monarchique, c’est donc la présidentielle qui intéresse les gens. Ça se voit d’ailleurs dans le taux d’abstention aux législatives. L’élection de Macron était une sorte de climax. Ses premiers jours, la formation du gouvernement, etc. ça aurait pu être intéressant à raconter, mais comme la fin de la présidentielle n’a pas du tout été celle que les gens attendaient, c’était un bon moment pour finir le bouquin.
Pablo Chimienti
Le Journal du off, de Renaud Saint-Cricq, Frédéric Gerschel et James. Glénat.