EDF a beau afficher des ambitions internationales en matière de démantèlement nucléaire, la filière doit encore faire ses preuves en France, deuxième producteur d’électricité nucléaire au monde, où la tâche reste immense et les retards nombreux.
« On démantèle neuf réacteurs en France. On considère que notre savoir-faire peut nous mettre en très bonne place pour gagner de vrais belles parts de marchés à l’international », assurait mercredi Sylvain Granger directeur des projets de déconstruction chez EDF. Une ambition « sidérante » pour Barbara Romagnan, ex-députée PS, auteure d’un rapport parlementaire qui soulignait début 2017 les coûts « sous évalués » et retards croissants de ces chantiers. « Aucun de ces réacteurs français n’a encore été totalement démantelé alors qu’ils ont été arrêtés entre 1985 et 1997 », argumente-t-elle.
Ailleurs dans le monde, dix-sept cuves de réacteurs (de plus de 100 MW) ont été démantelées, aux États-Unis, en Allemagne, et en Espagne, selon l’Institut de radioprotection et de sûreté (IRSN). A Chooz, le chantier le plus avancé d’EDF, situé dans les Ardennes, le démantèlement de la cuve, étape ultime et la plus délicate, a débuté en 2017. Mais la découpe des composants internes de la cuve a été suspendue après la contamination en juin d’un employé suédois de Westinghouse, à qui EDF a sous-traité cette opération, selon l’entreprise française. Cet incident de niveau 1 sur l’échelle Ines (International Nuclear Event Scale), qui classe de 0 à 7 les événements nucléaires, n’a « aucun impact sur le planning », assure Sylvain Granger.
La cuve elle-même ne sera découpée que de mi-2019 à fin 2020, pour une fin de chantier en 2022. Mais près de 4 500 tonnes de déchets radioactifs ont été évacuées, soit près de 60% des déchets radioactifs de cette démolition, et EDF est « en avance sur son planning », ajoute l’entreprise. Quatre-vingt personnes travaillent sur ce chantier sous-traité principalement à Westinghouse (poids lourd du secteur), Nuvia (Vinci) et Polinorsud (New Areva). La facture devrait ici s’approcher des 500 millions d’euros, assure EDF. Avec ses 300 MW, Chooz A était trois à cinq fois moins puissant que les réacteurs actuels.
Opérations délicates
L’industriel met aussi en avant l’expérience acquise avec Superphénix, le surgénérateur au plutonium de 1200 MW situé à Creys-Malville, à 70 km de Lyon. « Les Japonais sont très intéressés », selon Sylvain Granger. Sur ce chantier, près de 6 000 m3 de sodium ont été évacués du réacteur entre 2010 et 2014, transformés en soude et emprisonnés dans 70 000 m3 de béton. Une opération extrêmement délicate car le sodium s’enflamme au contact de l’eau et de l’air. Lors du démantèlement d’un réacteur beaucoup plus petit (30 MW) mais ayant, comme Superphénix, la spécificité de fonctionner avec du sodium, et baptisé Rapsodie, une explosion avait fait un mort en 1994 à Cadarache (Bouches-du-Rhône).
Mais le démantèlement de la cuve géante (25 m de diamètre pour 20 m de haut) de Superphénix ne doit débuter qu’en 2020 pour s’achever en 2026, avec six ans de retard sur le calendrier de 2006. Et après avoir été condamné en justice en appel en 2016 pour non respect d’une mise en demeure de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme français du nucléaire, EDF s’y est encore fait épingler à trois reprises en 2017, année marquée par un « incendie ayant affecté des déchets pollués au sodium dans la nuit du 4 au 5 juillet ». Le gendarme du nucléaire y a soulevé des problèmes d’étiquetage des déchets, un manque de surveillance de sous-traitants, et des « dysfonctionnements » lors d’un exercice de crise. La facture du démantèlement est ici évaluée de 1 à 2 milliards d’euros selon le rapport parlementaire.
Quelque 350 personnes travaillent sur le surgénérateur dont 80 salariés EDF, précise l’entreprise. L’un des sous-traitants du chantier Superphenix New Areva s’est de son côté fait à nouveau épingler en décembre sur son chantier de La Hague où près de 600 personnes travaillent à la démolition d’une ancienne usine de retraitement des déchets nucléaires, pour « des défaillances », classées incident de niveau 1. Ici environ 7 000 m3 de déchets ont été évacués, selon New Areva. Il en reste 43 000 m3.
Incidents et gros retards
Les activités principales de démantèlement sont évaluées à environ 4 milliards d’euros d’ici à 2035 selon l’entreprise. Un chantier qui accuse un retard d’une quinzaine d’années, selon l’IRSN. Autre retard majeur, pour six réacteurs de la génération dite « Uranium naturel graphite gaz », EDF a « reporté la fin globale du démantèlement au début du XXIIe siècle », selon l’ASN. Ces réacteurs se trouvent à Saint-Laurent-des-Eaux, à une trentaine de km d’Orléans, Bugey à 35 km de Lyon, et Chinon, à 50 km de Tours. En 2000, EDF promettait un démantèlement achevé à l’horizon 2020-2025. Ce report, qui « pose la question du vieillissement des structures de génie civile des caissons réacteurs », est lié à des « problèmes de faisabilité technique », relève l’IRSN qui précise en outre qu’ « il n’y a pas de stockage aujourd’hui disponible pour le graphite ».
Environ 17 000 tonnes de graphite radioactif doivent sortir des six centrales concernées, selon EDF, alors que le sort des déchets nucléaires les plus radioactifs n’est par ailleurs pas réglé. Le volume des déchets issus des démantèlements est évalué à plus de 2,3 millions de m3, selon le rapport parlementaire. Autre chantier très en retard, le démantèlement de Brennilis (Finistère), « d’une grande complexité » selon EDF, est aujourd’hui annoncé pour après 2030, soit plus de 45 ans après l’arrêt de ce réacteur de 70 MW qui a fonctionné 18 ans. Le retard est lié à des recours en justice, mais aussi à des incidents, comme un incendie dans l’enceinte du réacteur en 2015.
Quant au démantèlement des 58 réacteurs en fonctionnement, EDF se veut « confiante » : leur technologie est la même que celle de Chooz A (réacteurs à eau pressurisée). Mais en attendant, faute de calendrier, la filière industrielle du démantèlement, déjà confrontée à des problèmes de recrutement, tarde à se structurer, selon l’IRSN. EDF évalue à 79 milliards d’euros le coût de démantèlement de tous ses réacteurs en France (dont 18,5 milliards de gestion du combustible usé), a indiqué jeudi l’entreprise qui parlait en 2000 de 16 milliards d’euros.
Le Quotidien/AFP
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