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Le débriefing du mardi – Didier Philippe : « La BGL Ligue est injustement sous-cotée »


Didier Philippe, ancien coach du F91 et agent de joueurs (dont l’international Laurent Jans), explique en quoi il est difficile pour les meilleurs joueurs de BGL Ligue d’accéder à un championnat plus huppé.

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« Je pense sincèrement que le Luxembourg est sous-estimé par les autres nations ». (Photo : Julien Garroy)

La prestation de Sanel Ibrahimovic, dimanche lors de la victoire 5-1 de la Jeunesse face à Etzella (2 buts, 3 passes décisives) a rappelé que le Bosniaque, 27 ans, était un joueur parmi quelques-uns à sembler bien au-dessus du niveau général de la BGL Ligue. Depuis plus de cinq ans, l’ancien Wiltzois empile les buts (89 en 114 rencontres de DN) sans pour autant avoir eu sa chance dans le monde professionnel. Fin observateur du foot luxembourgeois dont il est toujours acteur par le biais de sa fonction d’agent de joueurs, Didier Philippe est peut-être la meilleure personne pour répondre à cette question : bon sang, pourquoi le championnat luxembourgeois est-il autant sous-coté?

> La BGL Ligue peut-elle devenir un jour un tremplin direct pour un plus grand championnat ?

Didier Philippe : Je pense sincèrement que le Luxembourg est sous-estimé par les autres nations. Aujourd’hui, quand un pays voisin imagine un joueur qui marque 15 buts dans le championnat luxembourgeois, il se dit : « Chez nous, il en mettrait 3 dans notre 5e division ». Il n’y a pas une juste reconnaissance du niveau de ce championnat, alors difficile pour un joueur d’accéder à un niveau supérieur. À mon sens, la BGL Ligue est injustement sous-cotée.

> Prenons l’exemple de Sanel Ibrahimovic. Il en est à 15 buts en 15 matches, soit grosso modo son rythme de croisière depuis cinq ans. Pourquoi un garçon comme lui est-il encore au Luxembourg ?

S’il jouait à Sarrebruck (NDLR : Philippe a joué et entraîné ce club, qui évolue actuellement en Regionalliga), il mettrait des buts, je n’en doute pas. Mais à Sarrebruck, ce sont des vrais pros. Autrement dit, ils s’entraînent bien plus que quatre fois par semaine. C’est leur métier, quoi! Il faut aussi voir si ça suivrait mentalement. C’est pour ça que les clubs veulent prendre les joueurs lorsqu’ils sont très jeunes. Si Ibrahimovic était luxembourgeois, il serait en sélection et aurait une meilleure exposition. Je n’enlève rien au talent d’Ibrahimovic et à la qualité des entraînements de la Jeunesse, mais à 19 ou 20 ans, est-ce qu’il aurait été prêt à encaisser ce qu’encaisse un pro? Parce que des joueurs de 27 ans bons et sous-estimés, il y en a plein.

> Aurélien Joachim et Yannick Bastos sont les derniers joueurs partis à l’étranger grâce à des prestations réalisées avec leur club. Un départ du Luxembourg est-il forcément lié à une belle aventure en Coupe d’Europe ?

Pour Joachim, il faut être lucide. Si on n’avait pas fait notre parcours en Ligue des champions (NDLR : Philippe entraînait le F91 qui a éliminé Salzbourg au 2e tour de la Ligue des champions, Joachim avait marqué 8 buts en 6 matches lors de cette campagne), je ne pense pas qu’il serait parti. Il est parti à l’extrême limite, à 26 ans. Même avec 20 buts en championnat, Willem II ne serait jamais venu le chercher. Il a saisi la balle au bond et eu de la chance, car il faut se souvenir que quelques années plus tôt, il était à Bochum et ça n’avait pas marché.

> Comment expliquer que le FC Metz a recruté Thierry Steimetz quand il jouait à Amnéville, en CFA, alors que deux ans plus tôt, il cassait déjà la baraque au Luxembourg avec Grevenmacher ?

Thierry, c’est un cas particulier, formé à Lens, passé par Roye en National. C’est un talent énorme. Malheureusement, une suspension et une blessure ont tout faussé. Aujourd’hui encore, il aurait sa place en Ligue 2. Il est parti parce qu’il a été déçu. On lui avait fait des promesses qui n’ont pas forcément été tenues. Peut-être qu’il le regrette. Metz voulait qu’il soit un des leaders de l’équipe qui était en National. Il était bon, il ne coûtait rien. Qui sait, il serait peut-être monté dans le wagon pour la Ligue 1!

> Pourquoi le Luxembourg ne réussit-il pas à profiter de sa situation géographique, entre la France, l’Allemagne et la Belgique ? Il y a plus de joueurs de ces pays qui viennent en BGL Ligue que l’inverse…

C’est le problème. Le Luxembourg est attractif. Quand on compare avec les salaires qu’il y a en France en National, oui, on peut dire que le Luxembourg est financièrement intéressant. Du coup, des joueurs qui ont un certain âge et qui ont l’impression de tourner en rond à l’étranger viennent ici. Et à l’inverse, ceux qui sont en BGL Ligue n’ont pas de raison de voir ailleurs puisqu’ils ne sont pas mal payés.

> En tant qu’agent, pouvez-vous nous dire comment les clubs réagissent quand vous leur parlez d’un joueur qui évolue dans le championnat luxembourgeois ?

J’ai l’exemple de Laurent Jans, dont je suis l’agent. C’est un joueur à potentiel intéressant. Il travaille avec des professionnels puisque le Fola fonctionne avec des gens qui viennent de ce milieu-là. Le truc, c’est que les clubs sont intéressés par les matches de Laurent avec la sélection, pas par ceux contre Rosport ou Rumelange. On touche là un autre problème : le championnat luxembourgeois est trop hétérogène. Il y a plus ou moins quatre équipes au-dessus et un fossé avec les équipes de la fin du classement. Un club est venu voir Laurent il y a quelques semaines. Il a été bon, mais le terrain était catastrophique, l’adversaire pas fort du tout, alors bon, le club étranger repassera au prochain match de la sélection. Il faut voir ça comme une chance, mais c’est vrai que c’est frustrant de voir que les matches de championnat n’ont, aux yeux des recruteurs, aucune valeur. Le Fola, comme les autres grosses équipe de BGL Ligue, est victime du niveau général. Ce qui explique pourquoi cet hiver, il a pris 3-0 contre Hombourg, qui joue en Regionalliga.

> Vous avez aussi essayé de relancer Bryan Mélisse, que vous entraîniez à Dudelange…

Bryan s’est rendu compte qu’Elversberg, c’était un autre monde. Et on ne parle que d’Elversberg, qui était un petit club de 3e Bundesliga. Pourtant, il savait ce qu’était le monde pro, il en venait. Mais voilà, le rythme est différent. Et quand je dis rythme, je ne parle pas de technique ou de vitesse, mais de ce que propose la concurrence. Le foot pro, ce n’est pas juste du talent et on y va !

De notre journaliste Matthieu Pécot