Trois responsables de Lafarge, dont l’ex-PDG Bruno Lafont, étaient mercredi devant les enquêteurs français pour être interrogés sur les activités en Syrie du cimentier français, soupçonné d’avoir indirectement financé le groupe État islamique (Daech), a-t-on appris de sources proches du dossier.
Bruno Lafont, l’ex-directeur général Eric Olsen, DRH à l’époque des faits, et l’ex-directeur général adjoint opérationnel, Christian Herrault, devaient être entendus sous le régime de la garde à vue dans les locaux des douanes judiciaires (SNDJ) à Ivry-sur-Seine, près de Paris. Ils pourraient ensuite être présentés aux juges d’instruction en vue d’une éventuelle inculpation. Vendredi, trois cadres du groupe, qui a fusionné avec le suisse Holcim en 2015, ont été inculpés pour « financement d’une entreprise terroriste » et « mise en danger de la vie d’autrui ».
Lafarge est soupçonné d’avoir pactisé avec des groupes jihadistes, notamment avec Daech en lui achetant du pétrole – en violation de l’embargo décrété par l’Union européenne en 2011 – et en lui remettant de l’argent, via un intermédiaire. De juillet 2012 à septembre 2014, la filiale syrienne du cimentier (Lafarge Cement Syria, LCS) a versé environ 5,6 millions de dollars à diverses factions armées dont l’organisation d’Abou Bakr al-Baghdadi, d’après un rapport rédigé en avril à la demande de LafargeHolcim par le cabinet américain Baker McKenzie.
« Soit on acceptait le racket, soit on partait »
Les enquêteurs cherchent à savoir si la direction du groupe en France a pu avoir été informée de tels agissements. Début 2017, le SNDJ avait entendu plusieurs cadres et hauts responsables. Trois d’entre eux avaient reconnu des versements litigieux, dont Christian Herrault. « Soit on acceptait le racket, soit on partait et on organisait le repli », avait souligné l’ex-directeur adjoint, selon une source proche de l’enquête, ajoutant avoir eu des « discussions avec Bruno Lafont ». L’ex-PDG a toujours démenti avoir été informé. « Pour moi, les choses étaient sous contrôle. Si rien ne me remontait, c’est que rien de matériel ne se produisait », avait-il assuré en janvier aux enquêteurs du SNDJ.
Dans un rapport accablant pour la maison-mère, les douanes judiciaires ont pourtant conclu qu’ « il serait tout à fait étonnant que M. Lafont n’ait pas demandé à son équipe de direction d’avoir un point précis de la situation d’une cimenterie dans un pays en guerre ». Il « devait rendre forcément des comptes à des actionnaires », ajoutaient les enquêteurs.
Le Quotidien/AFP