L’homme qui valait 16 000 avions : l’annonce d’une commande historique de 430 avions par Airbus consacre la carrière de son emblématique patron des ventes, John Leahy, dont le talent a contribué à faire de l’avionneur européen un géant de l’aéronautique au même titre que Boeing.
« Leahy ? C’est tout simplement le plus formidable vendeur d’avions dans le monde. Il est sans égal, et une grande partie du succès d’Airbus lui est dû », a déclaré à son propos l’ancien patron du groupe, Louis Gallois. Le New-yorkais, qui s’apprête à prendre sa retraite après 32 ans chez Airbus, s’est imposé comme une figure incontournable de l’industrie aéronautique au sein de laquelle il fait figure de légende.
Entré en 1985 chez Airbus en provenance du département marketing du constructeur d’avions d’affaires Piper Aircraft, ce fils de comptable travaillant pour le Wall Street Journal est l’homme qui a propulsé Airbus de 18 à 50% des parts de marché dans le monde. Les anecdotes foisonnent à son propos, comme celle de cette réunion du conseil d’administration d’Airbus en 1994, durant laquelle il annonce à un auditoire perplexe qu’il vise 50% du marché avant l’an 2000.
Les sceptiques en sont pour leurs frais, John Leahy a atteint ses objectifs. Sous son mandat, Airbus a vendu 16 000 avions pour une valeur de 1.700 milliards, selon un décompte interne. Ou encore cette soirée avec Tony Fernandes, le PDG et fondateur d’AirAsia à la veille de signer un fabuleux contrat lors du salon du Bourget en 2011, qui lui lance comme un défi de danser sur la table avant de signer. Le lendemain, Airbus annonce la vente de 200 A320neo à AirAsia…
« C’est un maillon essentiel de la réussite d’Airbus, aux côtés des ingénieurs historiques, comme Bernard Ziegler ou Felix Kracht », assurait en 2011 au magazine Challenges Jean Pierson, ancien président d’Airbus et mentor de John Leahy. Globe-trotteur infatigable, John Leahy fut l’un des artisans de la percée d’Airbus aux États-Unis, avec les premières commandes de Continental Airlines puis de NorthWest.
L’homme, qui déteste l’échec, a su s’appuyer sur une équipe qui a sa confiance, et flairer avant les autres les tendances porteuses du marché. Il a aussi su tirer le meilleur parti de la gamme d’Airbus, notamment l’A320 devenu le best-seller depuis son lancement en 1988, notamment les compagnies low-cost, qui en sont friandes, ou encore les grandes compagnies de locations d’avions, comme ILFC ou CDB.
Affable et à l’humour acerbe, John Leahy n’hésite pas à tourner en dérision « ses amis de Seattle » en soulignant les points faibles de leurs produits pour mieux mettre en exergue les points forts d’Airbus. Au point de profondément agacer outre-Atlantique. John Leahy, qui a reçu la Légion d’honneur en 2012, a également ses détracteurs.
Dans le Golfe notamment, où il n’est pas en odeur de sainteté auprès de certaines compagnies aériennes. En interne également, où on lui reproche certains choix dans la gamme de l’avionneur, notamment autour de l’A350 dans sa première version ou encore de l’A380, le très gros porteur long-courrier.
« Beaucoup lui reprochent d’être plutôt le représentant des compagnies aériennes chez Airbus que l’inverse », expliquait ainsi Jean Pierson. Marié, père de trois enfants et aujourd’hui grand-père, John Leahy, né en 1950 dans le Queens (New York), compte toujours sur sa femme pour parler en français lorsqu’il va chez le docteur.
Il s’amuse aujourd’hui en racontant que chez lui à Toulouse, il « cherche la ceinture de sécurité » lorsqu’il prend une chaise et qu’il est donc temps de raccrocher. Son successeur pourrait être son bras droit et directeur de la stratégie et du marketing chez Airbus, Kiran Rao.
Le Quotidien/ AFP