La Française Mélina Boughedir a été condamnée dimanche par un tribunal de Bagdad à la perpétuité pour avoir rejoint le groupe Etat islamique (EI), une peine qui équivaut à 20 années de réclusion au regard de la législation irakienne actuelle.
Âgée de 27 ans, Mélina Boughedir avait été déclarée libérable en février à l’issue d’un premier procès pour « entrée illégale » en Irak. Alors que ses avocats ont accusé Paris de chercher à empêcher tout retour de ses ressortissants jihadistes, elle a cette fois été reconnue coupable au titre de la loi antiterroriste.
Lors de ce deuxième procès, la jeune Française était ainsi passible de la peine capitale, sentence prononcée il y a deux semaines à peine à l’encontre d’un Belge, Tarik Jadaoun, surnommé le « nouvel Abaaoud », en référence à son compatriote Abdelhamid Abaaoud, l’un des organisateurs présumés des attentats du 13 novembre 2015 en France (130 morts).
Mélina Boughedir est la deuxième Française condamnée à la perpétuité en Irak, moins de deux mois après Djamila Boutoutaou, 29 ans. Toutes deux ont plaidé avoir été dupées par leurs maris, aujourd’hui introuvables. Boughedir s’est présentée dimanche à l’audience en robe et voile noire, sa plus jeune fillette dans les bras, alors que ses trois aînés ont déjà été rapatriés en France.
« Mon mari m’a dupée »
« Je suis innocente », a-t-elle lancé au juge en français, tandis qu’un traducteur l’assistait. « Mon mari m’a dupée et ensuite, il a menacé de partir avec les enfants », a-t-elle plaidé. « Je suis contre les idées de l’Etat islamique », et « je condamne les actes de mon mari » – lui aussi Français -, a-t-elle encore affirmé. Au sujet de celui qu’elle a dit avoir épousé il y a cinq ans, elle a assuré ne pas connaître son sort, affirmant ne pas avoir de nouvelles depuis qu’il est « parti un jour chercher de l’eau ».
La Française a été arrêtée durant l’été 2017 à Mossoul, « capitale » durant trois ans du « califat » autoproclamé en Irak, jusqu’à sa reprise en juillet dernier par les troupes irakiennes. La peine qu’elle doit désormais purger débute à la date de son arrestation.
Dimanche, durant le procès, son avocat irakien a plaidé « l’acquittement de toutes les charges », affirmant que sa cliente avait été « forcée par son mari, qui était plus un geôlier qu’un époux ». Après le premier jugement, dont la clémence tranchait avec le sort habituellement réservé aux étrangers accusés d’avoir rejoint l’EI, la Cour de cassation de Bagdad avait en revanche estimé que Mélina Boughedir avait suivi « en connaissance de cause » son mari. Et, après avoir de nouveau interrogé Mélina Boughedir, le président du tribunal a affirmé dimanche que « les preuves rassemblées » étaient « suffisantes pour condamner la criminelle à la prison à perpétuité ».
« Raisons extra-judiciaires »
Interrogés par l’AFP à Bagdad, ses avocats français William Bourdon, Martin Pradel et Vincent Brengarth se sont dits « soulagés qu’elle n’ait pas été condamnée à mort ». Toutefois, a ajouté Me Bourdon, leur cliente, « angoissée et effondrée », va interjeter appel. « Il y a évidemment des raisons extra-judiciaires » qui expliquent cette condamnation, a-t-il fait valoir.
Jeudi dernier, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait décrit Mélina Boughedir comme une « terroriste » de l’EI ayant « combattu contre l’Irak ». Le Drian avait appelé Bagdad à la juger pour s’assurer « que Mélina Boughedir ne revienne pas de sitôt en France », a estimé dimanche Me Bourdon. Ses conseils et sa famille plaident quant à eux pour qu’elle rentre dans son pays, où « un juge d’instruction a signifié par un mandat d’arrêt qu’il souhaitait la voir dans son bureau ».
En France, la jeune femme est visée par un mandat de recherche délivré dans le cadre d’une information judiciaire ouverte à Paris le 2 août 2016, pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle », selon une source judiciaire.
Dans une récente lettre ouverte à Le Drian, le trio d’avocats avait dénoncé une « volonté à tout prix, et au sacrifice des principes fondamentaux, que (leur) cliente ne revienne pas », et fustigé une « ingérence inacceptable ». Dans ce dossier, Paris a « une position impitoyable qui rejoint (celle de) la justice en Irak », ont-ils redit dimanche.
Quelques dizaines de Français soupçonnés d’avoir rejoint l’EI sont actuellement retenus en Irak et en Syrie avec plusieurs dizaines de mineurs, d’après une source proche du dossier. Plus de 300 personnes – dont une centaine de ressortissantes étrangères – ont été condamnées à mort en Irak, et autant à la perpétuité, pour avoir rejoint l’EI qui a un temps tenu près d’un tiers du pays et de larges pans de la Syrie, selon des sources judiciaires.
La plupart des femmes condamnées sont Turques ou originaires des anciennes républiques d’Union soviétique.
Le Quotidien/AFP