L’UE a lancé mercredi une offensive pour mieux taxer les géants du net, dont Facebook éclaboussé par un scandale sur la protection des données, sur fond de menace de guerre commerciale avec les États-Unis.
Ce projet de la Commission européenne qui consiste notamment à taxer le chiffre d’affaires des géants du net est dévoilé dans un contexte déjà tendu entre les États-Unis et les Européens, au bord d’une guerre de l’acier. « Nos règles mises en place avant l’existence d’internet ne permettent pas (…) d’imposer les entreprises numériques opérant en Europe », a martelé le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, pointant un « trou noir » fiscal « qui s’agrandit toujours plus », lors d’une conférence de presse à Bruxelles.
La taxation des géants du numérique, communément désignés sous l’appellation GAFA pour Google, Apple, Facebook et Amazon, est un dossier considéré comme prioritaire par la Commission européenne. Il sera au menu jeudi soir du sommet européen des 28 chefs d’États et de gouvernement de l’Union européenne à Bruxelles.
Jusqu’à 150 entreprises taxées
Dans un premier temps, l’exécutif européen préconise de taxer à 3% les revenus (et non les bénéfices, comme le veut l’usage) générés par l’exploitation d’activités numériques. Cette taxe ne visera que les groupes dont le chiffre d’affaires annuel mondial dépasse 750 millions d’euros et dont les revenus dans l’UE excèdent 50 millions d’euros. En clair, les petites start-up européennes qui peinent déjà à rivaliser avec les mastodontes américains ne seront pas concernées par cet impôt indirect.
Dans le collimateur de la Commission : les recettes publicitaires des groupes tirées des données de leurs utilisateurs – le modèle de Facebook, Google ou Twitter – ou les revenus provenant de la mise en relation d’internautes pour un service donné – celui d’Airbnb ou Uber. En revanche, les entreprises dont le « business model » repose sur les abonnements, comme Netflix, ne seront pas touchées ni celles qui gagnent de l’argent grâce au commerce électronique, type Amazon. Au total, entre 120 et 150 entreprises devraient être affectées par ce nouvel impôt : la moitié seront des Américaines, un bon tiers Européennes et le reste Asiatiques, essentiellement Chinoises, précise-t-on à la Commission.
Cette taxe pourrait rapporter environ 5 milliards d’euros par an. Même si l’initiative de la Commission n’est aucunement liée au scandale de Cambridge Analytica, elle survient alors que Facebook est au cœur d’une tourmente mondiale depuis que cette entreprise a été accusée d’avoir illégalement acquis les données de 50 millions d’utilisateurs du réseau social. « Il ne s’agit en aucun cas d’une mesure anti-américaine », avait assuré Pierre Moscovici lundi.
Les réticences de l’Irlande et du Luxembourg
Outre cette mesure « ciblée », Pierre Moscovici a proposé une réforme plus de fond des règles relatives à l’imposition des sociétés qui prendrait le relais de la première proposition de « court terme ». Cette réforme permettrait aux pays de l’UE de taxer les bénéfices qui sont réalisés sur leur territoire, même si une entreprise n’y est pas présente physiquement. Il s’agit d’établir un standard européen définissant la présence numérique des sociétés, pour mieux les imposer, à l’aide de trois critères : revenus, nombre d’utilisateurs et contrats – publicitaires par exemple – signés avec une autre entreprise.
Pour la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni – les cinq membres du G20 appartenant à l’UE -, les choses ne vont pas assez vite au niveau international. Ils poussent donc pour une solution d’abord européenne, afin de donner l’exemple au reste du monde. Reste à savoir si ces grands pays de l’UE parviendront à convaincre les plus petits États tels que l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, connus pour leur fiscalité bénéfique vis-à-vis des entreprises. Dans l’Union, toute réforme sur la fiscalité requiert l’unanimité.
L’Irlande, qui a réussi à attirer le siège européen de Facebook avec ses taux d’imposition avantageux, ou le Luxembourg, pays d’accueil d’Amazon, plaident quant à eux pour privilégier une solution internationale, coordonnée par l’OCDE.
Le Quotidien/AFP