La sécurité au prix de l’impopularité: à partir de dimanche, la limitation de vitesse sur 400.000 kilomètres de routes à double sens sans séparateur central passera de 90 km/h à 80 km/h, malgré l’opposition d’automobilistes, de motards et d’élus locaux.
« L’objectif, ça n’est pas d’emmerder le monde. L’objectif, c’est de faire en sorte qu’il y ait moins de morts et moins de blessés graves »: sous le feu des critiques depuis l’annonce faite le 9 janvier, le Premier ministre a choisi vendredi le style direct pour résumer l’esprit de la mesure.
« C’est pas populaire, il faut le reconnaître », a admis Edouard Philippe, quelques jours après la parution d’un sondage réaffirmant que 74% des Français y étaient opposés. « Mais on peut vivre avec l’impopularité » si cela permet de sauver jusqu’à 400 vies par an, a-t-il assuré, avant d’énumérer les chiffres de la mortalité routière: « 3.500 à 3.600 morts par an, 75.000 blessés par an, dont 25.000 font l’objet de lésions soit cérébrales soit physiques. C’est un constat qui n’est pas acceptable, c’est un coût humain terrifiant. »
Première limitation depuis 1974
Pour l’exécutif et les partisans de la mesure, cette première limitation de la vitesse hors agglomération depuis 1974 s’inscrit dans la lignée des grandes mesures « de rupture » de sécurité routière, telles que l’obligation de la ceinture de sécurité, l’instauration des contrôles d’alcoolémie ou l’installation des radars automatisés. Une « clause de revoyure » est fixée au 1er juillet 2020 pour en évaluer les effets.
Selon les autorités, cela permettra d’inverser la courbe de la mortalité routière qui, après avoir atteint un plus-bas historique en 2013 (3.427 morts, métropole et Outremer confondus), est repartie à la hausse les trois années suivantes. Alors que la tendance s’est infléchie en 2017 (3.684 morts, -1,4% par rapport à 2016), associations d’automobilistes et de motards mènent une fronde contre le « passage en force » du gouvernement pour imposer une mesure qui relève, selon elles, de la « posture politique » et non de la sécurité routière.
L’association 40 millions d’automobilistes et la fédération française des motards en colère ont à nouveau manifesté samedi à Paris. « Le Premier ministre veut dégager une image d’autorité. C’est une réforme parisianiste, sans écoute des gens concernés qui conduisent tous les jours », déplore Pierre Chasseray, délégué général de 40 millions d’automobilistes. Des élus, essentiellement de régions rurales enclavées où se situent la plupart des routes concernées, ont rejoint le mouvement.
Le « joker » de Gérard Collomb
Un groupe de députés ainsi que l’association La ligue des conducteurs ont saisi le Conseil d’Etat. Mais leurs recours n’étant pas en référé, ils ne seront pas examinés en urgence. En revanche, un particulier a déposé un référé qui pourrait être examiné la semaine prochaine.
Un groupe de sénateurs avait proposé au gouvernement une application « décentralisée et ciblée » avec des routes limitées à 80 km/h choisies localement selon leur dangerosité. L’option a été « écartée » par Matignon. Malgré leur désaccord, les élus ont assuré qu’ils resteraient « républicains » et respecteraient la nouvelle règle. La polémique traverse la majorité présidentielle, jusqu’à l’intérieur du gouvernement. Le 17 mai, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a ainsi préféré invoquer un « joker » quand un élu l’a interpellé sur le sujet dans une réunion publique.
Engagés dans une guerre de chiffres et de mots, les partisans n’ont, eux, aucun doute. « On l’a vu pour les radars: à partir du moment où tous les conducteurs avaient le même risque d’être contrôlés, tous ont modifié leur comportement », affirme la présidente de la Ligue contre la violence routière, Chantal Perrichon. « Parce que cette mesure est bonne, elle va donner des résultats à court terme », assure-t-elle.
Le Quotidien/AFP